Quand une femme monte l’escalier
Keiko dirige un bar dans le quartier de Ginza. A l’approche de ses 30 ans, âge canonique dans cette profession, cette patronne d’établissement surnommée Mama s’interroge sur son futur. Se marier à un de ses clients, un moyen traditionnel pour quitter ce métier ou posséder son propre bar ? Malgré son charme et son entregent, l’établissement qu’elle gère avec le jeune Komatsu voit sa clientèle filer à la concurrence, en particulier le club tenu par Yuri, l’une de ses anciennes employées. Belle, fière et indépendante, Keiko tient absolument à garder sa dignité, mais est-ce possible dans ce milieu et dans le Japon d’après guerre dominé par les hommes ?
Mikio Naruse décrit sans fard et avec minutie ce monde de la nuit à travers un scénario extrêmement bien construit, dont le cinéaste est coutumier. Les 7 ou 8 premières minutes du film contiennent un condensé des thèmes qu’il développera par la suite. Elles s’achèvent sur une scène où Keiko accompagne à la gare une ancienne employée sur le point de changer de vie et de ville en compagnie de son nouveau mari. Son souvenir rendra encore plus poignante l’une des dernières scènes du film, où Keiko vient saluer le client dont elle est amoureuse et qui part s’installer dans une autre ville avec sa famille.
Keiko est interprétée par Hideko Takamine, actrice fétiche du cinéaste. Lumineuse, elle nous offre un jeu tout en nuance. Montrant la fragilité de son personnage quand il le faut, mais aussi sa force de caractère quand cela est nécessaire.
Les séquences récurrentes de Keiko montant l’escalier conduisant au bar donnent l’impression d’un éternel recommencement. Mais les variations à l’intérieur de ces quatre séquences symbolisent des étapes dans sa trajectoire personnelles. Elles sont accompagnées de ses commentaires en voix off, souvent émouvants, sur sa situation personnelle et son métier.
Le minutieux cinéaste japonais n’oublie jamais dans ses films d’évoquer les problèmes d’argent de ses personnages, mais ils prennent ici une dimension toute particulière. L’argent régit en effet ici les relations entre les personnages : clients-hôtesses, tenancières-propriétaires de club, propriétaires de bar-créditeurs…. Mama est d’ailleurs amoureuse d’un banquier, déjà marié...
Les femmes travaillant dans ces établissements sont prises dans un cercle vicieux, qui rend impossible leurs rêves d’indépendance. Pour plaire aux clients, elles doivent acheter des kimonos et parfums luxueux afin de maintenir un certain standing. « Je gagne plus que dans l’autre bar, mais je dépense aussi beaucoup plus » se plaint Keiko.
Quand elles sont gérantes, les propriétaires empochent l’essentiel de l’argent. Devenir propriétaire permettrait, a priori, de s’émanciper, mais réunir l’argent nécessite aussi de passer sous les fourches caudines des sponsors ou s’endetter lourdement à ses risques et périls.
Incapable de rembourser les 2,5 millions de yens de dettes contractées pour acheter son bar, Yuri, la jeune concurrente de Keiko meurt après un faux suicide, qui tourne mal. Son créditeur visitant ultérieurement le bar de Keiko affirmera ne pouvoir en récupérer qu’un million. Le cynisme de ce milieu atteint son paroxysme.
Les hommes en prennent pour leur grade car leur comportement est le principal obstacle au bonheur de Keiko et donc des femmes. De son frère nécessiteux et faible au client amoureux, mais mythomane, au lâche banquier dont elle est éprise, en passant par le plus cynique des clients, le créancier de Yuri, il n’y en a pas un pour rattraper l’autre.
Quand une femme monte l’escalier fait partie d’un box de 5 films en DVD ou Blu-ray de Mikio Naruse édité par Carlotta Films. S’y trouvent également Au gré du courant, Une Femme dans la tourmente, Le Grondement de la montagne et Nuages épars.
Remerciement à Carlotta Films.







