Ran
Les éditions vidéo de Ran ont connu des vicissitudes, mais en éditant une version restaurée en 4K, Studiocanal rachète ses erreurs passées. Comme Le Guépard de Visconti, le film d’Akira Kurosawa est rendu dans toute sa splendeur. Chez un cinéaste où l’aspect formel, ici en particulier les couleurs, a toujours été très important, justice a été rendue à son œuvre.
Âgé de 70 ans, le seigneur Hidetora Ichimonji décide de se retirer du pouvoir et désigne son fils aîné, Taro, comme nouveau chef du clan. L’annonce de sa succession s’accompagne d’un message de solidarité à ses trois fils, l’union faisant la force. Il illustre son propos en leur faisant essayer de casser successivement une flèche et un faisceau de trois flèches. Le plus jeune de ses fils, Saburo, raille la crédulité de son père et fait connaître son sentiment en des termes virulents. Choqué, Hidetora le bannit. Le fils cadet pense qu’il est illusoire de penser que la famille va rester unie, son pouvoir ayant été conquis par la violence et la traitrise. Hidetora va rapidement se rendre compte de son erreur. Manipulé par sa femme, Dame Kaede, Taro va le priver de ses dernières prérogatives, poussant le fier Hidetora à se réfugier chez son second fils. Tout ira ensuite de mal en pis pour le vieux seigneur.
Cette descente aux enfers d’Hidetora est interprétée mémorablement par Tatsuya Nakadai, qui transmet les émotions de son personnage, sa folie, ses éclairs de lucidité essentiellement par ses yeux. Dame Kaede, l’épouse de Taro, est l’autre personnage marquant du film. Si Ran est inspiré du Roi Lear de William Shakespeare, ce personnage est la réincarnation japonaise de Lady Macbeth. Fille d’un seigneur dont la famille a été massacrée par Hidetora, elle est l’enfant de la politique qui l’a amené au pouvoir. Ses machinations conduiront le clan à sa perte. Ran comporte une importante dimension karmique : l’homme n’échappe pas aux conséquences de ses actes.
Le début de l’assaut du château du troisième fils, Saburo, est la manifestation la plus aboutie du génie cinématographique d’Akira Kurosawa dans Ran. Dans un monde couleur de cendres, il transforme cette bataille en une vision de l’enfer : les preux combattants d’Hidetora meurent en se vidant de leur sang, le corps criblé de flèches ; ses suivantes se suicident... Aucune parole n’est échangée, aucun bruit n’est entendu, le message du cinéaste japonais est transmis par la seule force des images, et quelle force, ainsi que par la musique de Tōru Takemitsu. J’ai été saisi de frissons à sa vision.
Le monde d’Hidetora s’écroule autour de lui, comme le château se transforme en brasier. Ces scènes de carnage le ramènent à ses propres méthodes lors de la création de son fief, dont il est si fier au début du film. Tout un symbole, son sabre par lequel il a fait régner la terreur se brise au premier impact, l’échappatoire honorable du seppuku lui est même refusé. Il est forcé de boire la calice jusqu’à la (fo)lie. Cette tempête sous un crâne trouve son expression à l’écran dans sa manifestation météorologique, une utilisation des conditions atmosphériques pour illustrer son propos, dont Akira Kurosawa est coutumier. L’horreur de ses actions passées lui apparaitra encore sous l’incarnation du fils de l’un de ses ennemis qu’il a rendu aveugle enfant et qui l’abrite lors de sa fuite. Cette scène comporte l’une des nombreuses images esthétiquement magnifiques, mais aussi porteuses de sens du film. Quatre personnages sont présents dans un plan rapproché et les yeux de tous les personnages, sauf de l’aveugle, figurent à l’écran.
Si les films du maître japonais sont habituellement pessimistes, ils laissaient aussi percer une lueur d’espoir, comme dans Rashomon. Il n’en est rien dans Ran, qui se distingue par son nihilisme. Tango, qui a accompagné Saburo lors de son bannissement et est l’un des rares rescapés, semble se faire le porte parole du cinéaste en fustigeant « la bêtises des hommes qui croient survivre en répétant sans fin le meurtre ». Le film se clôt sur l’image d’une humanité aveugle au bord du précipice et ne pouvant plus compter sur l’aide de Bouddha.
Cette nouvelle édition Blu-ray de Ran est disponible depuis le 12 avril. Editée par Studiocanal, elle comprend un deuxième Blu-ray de bonus où l’on retrouvera AK, le fameux documentaire de Chris Marker sur le tournage du film, ainsi que plusieurs interviews, dont celles du directeur de la photo et de l’interprète de Dame Kaede, Mieko Harada.
Remerciement à Christophe Le Belleguy, de C Le Belleguy Conseils.




