Real
Cinq ans après le fabuleux Tokyo Sonata, Kiyoshi Kurosawa retrouve le chemin des salles obscures avec Real. Cette adaptation d’un roman de Rokuro Inui, au titre autrement plus onirique de A Perfect Day for Plesiosaur, nous conte l’histoire de Koichi (Takeru Satoh), jeune homme qui participe à un programme médical lui permettant de plonger dans l’esprit de sa petite amie mangaka Atsumi (Haruka Ayase), dans le coma depuis sa tentative de suicide, pour tenter de comprendre son geste et la ramener à la conscience.
Atsumi, obsédée par les échéances et la perte d’inspiration dans la réalisation de son manga horrifique intitulé Roomi, vit dans une prison cérébrale qui se limite à son appartement et au dessin. Paradoxalement consciente de son état végétatif, elle demande à Koichi de retrouver un dessin de plésiosaure qu’elle lui avait donné du temps de leur enfance insulaire, persuadée que celui-ci constitue la clé de sa guérison. Autour d’elle, la perception de Koichi se peuple de projections terrifiantes issues des planches de Roomi et autres zombies philosophiques, et un garçon ruisselant d’eau commence à hanter Koichi, même hors des expériences de contact...
C’est Miki Nakatani, sous les traits du docteur Aihara qui, mettant en contact Koichi et Atsumi, nous introduit à la fiction de Real, rémanence du cinéma de Kurosawa dans son versant horrifique (Loft)... Une trace pertinente, car dans sa première partie, le réalisateur trouve une raison d’être à son cinéma fait de projections effrayantes, d’oublis incarnés ou encore de rupture de la relation sociale : la « réalité » mentale d’Atsumi est elle-même un substrat de perception, bâti sur des souvenirs, univers inconscient qui se prête parfaitement au fantastique selon Kiyoshi Kurosawa, où les fantômes sont souvent des traces de la mémoire. Quelque part, Real, dans sa façon d’expliciter par exemple le concept de « zombie philosophique » (l’un des aplombs du film, entre charme et ridicule), figurant / spectre servant à peupler l’état végétatif d’Atsumi, tiendrait presque lieu de mode d’emploi, de Kurosawa 101. Forcément effrayant, donc, mais pas trop : car on devine déjà – l’emprise de la beauté si apaisante de Haruka Ayase, peut-être ? - une réalité plus douce.
Difficile de discuter de Real sans gâcher sa découverte. Sachez néanmoins que le film en révèle deux, complémentaires voire redondants, et que Kiyoshi Kurosawa trouve dans la seconde moitié du métrage matière à désamorcer l’effroi, à remettre en forme ses mécanismes visuels, en leur donnant une perception plus poétique : féminine. Real demeure un film de fantômes, mais ses projections changent du tout au tout - du cadavre au plésiosaure – et le rapport à ses zombies philosophiques aussi. Kurosawa prend alors le risque de rendre sa symbolique trop simpliste, trop évidente (à l’image de son anagramme « révélateur », autre aplomb de l’histoire), et cet allègement de son cinéma en détournera certainement plus d’un. D’autant que Real s’étire en longueur - épuisant proprement, dans la reformulation visuelle, son contenu – notamment dans sa fin maladroite, juxtaposition de conclusions reniées, réminiscente du cinéma d’horreur des années 80.
C’est certainement la première fois que j’ai envie de qualifier un film de Kiyoshi Kurosawa de naïf. Lui qui s’est tant employé à rendre l’ordinaire effrayant, met ici l’accent sur la démarche inverse, de lisser l’inquiétant. Le choix de Haruka Ayase (Ichi) comme interprète d’Atsumi, actrice aux traits inhabituels, dont on se plaît à accepter progressivement la beauté un peu dérangeante, parfait la cohérence de Real. C’est là, quoique l’on pense de cet apaisement optimiste du cinéma de Kiyoshi Kurosawa, l’une de ses nombreuses constantes.
Présenté hors-compétition au cours de la 16ème édition du Festival du film asiatique de Deauville, en la présence de Kiyoshi Kurosawa, Real sort sur nos écrans le 26 mars prochain.
Il est par ailleurs d’ores et déjà disponible en DVD et Blu-ray en Asie, sans sous-titres au Japon, sous-titré anglais à Hong Kong.





