[REC] 2
Harder. Better. Faster. Stronger.
Ce que j’aime bien avec le cinéma en général, et avec le genre fantastique en particulier, c’est qu’il arrive généralement à bousculer nos conventions et nos idées reçues.
Dans le cas qui nous intéresse, [REC] 2 est, personnellement, une bonne remise en question de mon esprit critique. J’ai souvent eu la faiblesse de considérer très vite, comme de simples actes opportunistes et sans grand intérêt artistique, la vague de séquelles et autre remakes qui pullulent sur les écrans ces dernières années. Et pourtant.
Replaçons auparavant le texte dans son contexte. [REC] 2 est donc la suite di[REC]te de [REC]. Nous reprenons les événements exactement là où on les avait quittés il y a deux ans. Une brigade d’intervention s’apprête désormais à rentrer dans l’immeuble placé en quarantaine, assistée d’un scientifique. Dans un soucis d’archivage d’une opération si particulière, chaque policier est équipé d’une caméra vidéo embarquée sur son casque, et de tout l’équipement paramilitaire inhérent à la profession.
Alors oui, effectivement, si on est particulièrement allergique à tout ce qui se rapproche de près ou de loin à du film qui fait peur tourné à la DV-Cam, ou à un pitch rassemblant des paramilitaires contre des forces surnaturelles, on risque forcément de se heurter violemment dans un mur d’indifférence face à cette séquelle. Parce que Balaguero et Plaza, les réalisateurs de cette suite et de son premier épisode, annoncent forcément la couleur dès les premières secondes. [REC] 2 existe exclusivement pour un public déjà acquis à sa cause. Le métrage ne s’embarrassera donc pas ici d’essayer de convertir les déçus de la première heure. Le début du film l’annonce à grand renforts de puissants riffs de guitare punk : vous vouliez du bonus ? De l’extended big size version ? Du unrated XXL producer’s cut ? Vous allez en avoir pour votre argent. Si on fait partie de ceux-là, on ressent tout de suite une certaine euphorie à rempiler, comme après une séparation difficile, pour des retrouvailles qui n’annoncent que le meilleur. La première séquence à l’extérieur de l’immeuble semble attester des ambitions revues à la hausse et des envies d’en montrer encore plus. Les deux metteurs en scène avouent d’ailleurs que la plupart des idées scénaristiques développés dans [REC] 2 proviennent principalement d’échanges qu’ils ont pu avoir avec le public.
Avec des protagonistes aussi délicats que des forces spéciales, [REC] 2 semble donc dès le départ destiné à hausser le cran de l’intensité de quelques mesures. Détachés de la nécessité de poser leur intrigue dans une certaine atmosphère, et leurs personnages dans une posture de victimes, les réalisateurs semblent laisser exploser leurs envies, jusque là réfrénées, dans un grand barnum d’action et de scènes spectaculaires. Ce qui pourrait au premier abord apparaitre comme un défaut (céder l’ambiance subtile d’un fantastique espagnol qui sait prendre son temps, pour une explosion d’épouvante complètement décomplexée et "badass") révèle au final la singulière maitrise du duo avec leur sujet. Car à l’image de l’évolution des protagonistes principaux qui passent de proies à prédateurs, Balaguero et Plaza savent tirer de leur environnement et de leur script de véritables forces. En oubliant le point de vue unique du caméraman de [REC], ils s’octroient la multiplicité des angles de chaque policier, renforçant ainsi leur mise en scène et la dynamique du film qui s’en trouve du coup décuplée. L’unité de lieu, autrefois cloisonnée aux appartements de l’immeuble et à l’escalier, s’ouvre désormais dans tout le hors-champ du premier épisode. Toit, greniers, couloirs de service... permettant ainsi d’obtenir certaines scènes jubilatoires. Lorsqu’un des policiers se retrouve par exemple poursuivi par plusieurs jeunes infectés dans un conduit de ventilation, scène forcément subjective, éclairé par la seule lampe torche de l’arme du personnage, on pense forcément à tout un tas de références, qu’elles soient issues du jeu-vidéo, du cinéma ou de la bande dessinée, qui font remonter d’agréables souvenirs des meilleurs flippes d’antan.
Techniquement, les deux espagnols ne cèdent donc pas non plus à la facilité. Les longs plans séquences, habilement découpés afin de permettre aux maquillages et effets spéciaux de se mettre en place ni vu ni connu, relèvent presque d’une sorte de théâtre filmé, ou, tout du moins, d’une performance filmique parfaitement maîtrisé, loin de certains affres ou artifices qu’on peut retrouver généralement dans ce type de pellicules shooté à la DV. Car la multiplication des angles impose un défi majeur généralement absent de ce type de productions. Chaque acteur doit bien mémoriser les mouvements et positions des différentes caméras embarquées et son propre jeu à un degré de précision qui transforme bientôt la mise en scène en une chorégraphie permanente. Si de l’aveu même des réalisateurs, le premier volet laissait la part belle à l’improvisation, aussi bien au niveau du script que du cadreur lui-même, la préparation minutieuse est bel et bien présente ici, et semble indispensable. On ose à peine à penser aux nombreuses répétitions d’un plan séquence où un personnage se transforme subitement en infecté et arrache la carotide d’un de ses collègues.
La photographie est d’ailleurs bien plus soignée ici, malgré là encore le défi que représente l’installation d’un éclairage qui ne doit impérativement apparaitre sur aucun des nombreux cadres du film. On retrouve d’ailleurs tout le savoir faire de Balaguero dans la façon de filmer l’obscurité et d’en faire un personnage à part entière. Comme dans Darkness (où celle-ci tenait d’ailleurs le premier rôle), chaque [Rec]oin de clair-obscur est parfaitement exploité et concourt à élever la tension omniprésente du film.
En termes d’inspirations, si on pouvait déjà ressentir l’ombre d’un Lamberto Bava dans la note d’intention de [REC], il semble désormais que cette suite emprunte sans complexes à Demons 2 certaines de ses thématiques dans le développement du scénario, ainsi que dans le maquillage des infectés. On ne pourra pas non plus s’empêcher de penser à Friedkin et à l’un de ses plus célèbres films tant l’hommage est flagrant. Néanmoins le tout reste forcément respectueux et ne pille pas aveuglément en prenant son spectateur pour un abruti. On n’en dira pas plus de peur de gâcher le plaisir de la découverte... Que les réfractaires à Cameron se rassurent en tout cas, les similitudes avec un Aliens ne se retrouvent finalement que dans quelques mecs en treillis noir surarmés, venus dézinguer quelque chose qu’ils ne comprendront jamais.
Si [REC] 2 avait donc tendance à faire fuir dès l’annonce de sa mise en production, le résultat rassure et réconforte avec une certaine idée du cinéma fantastique. Celle qu’un mec des forces spéciales n’est rien face à certaines forces qui le dépassent, même avec un shotgun en bandoulière. Celle également qu’une gamine qui se donne du bien avec un crucifix, ça peut être fun et jouissif, sans qu’on soit forcément un sociopathe. Alors que les deux parties semblent somme toute très différentes, aussi bien dans leur traitement que dans leurs velléités ([REC] marchant plus sur l’immersion et la peur primitive, le 2 étant plutôt un vrai publireportage du superlatif...), l’ensemble transpire un vrai amour du pauvre gus qui se fait pourchasser par un affamé de chair humaine. Véritable rollercoaster, [REC] 2 réconforte donc dans l’idée qu’il est encore possible aujourd’hui de faire des suites qui savent prendre leur indépendance face à leurs ainés, sans renier leur filiation, et sans non plus viser uniquement le portefeuille du gogo.
[REC] 2 sort sur les écrans français le mercredi 23 décembre, en bon film de Noël qui se respecte.
Remerciements à Céline Petit et Clément Rebillat du Public Système Cinéma.




