Red Room 2
Un homme qui se masturbe devant une jeune femme agenouillée, occupée à lécher une ampoule… Une telle introduction pourra paraître incongrue, en plus d’indécente, à ceux qui n’ont jamais vu le premier Red Room de Daisuke Yamanouchi ; quiconque a vécu la première session du « jeu du roi », toutefois, se souviendra du terrifiant potentiel d’une simple lampe à incandescence, immédiatement replongé dans l’univers dévastateur du réalisateur.
Comme son prédécesseur, Red Room 2 expose quatre candidats à un cruel jeu de cartes, dont les règles sont simples : celui qui tire la carte du roi donne un défi à deux autres numéros, sans savoir à quels joueurs ils correspondent. Celui qui perd le défi est éliminé, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il ne survive plus qu’un participant, riche d’un pactole de quelques 20 millions de yen. Un ancien flic lubrique, Oyama Takeshi, fraîchement divorcé et couvert de dettes de jeu ; une jeune fanatique, Manabe Mutsuko, venue trouver de quoi financer sa secte bien-aimée ; un simple joueur sans emploi, Tajima Hideyuki, aux motivations tues… Ces protagonistes sont le terreau fertile du sadisme cher à Yamanouchi, rejoints par Kyoko, une candidate inhabituelle puisque vainqueur du jeu à trois reprises. Une professionnelle de l’humiliation, en quelque sorte, qui justifie le doublement du pactole à remporter, et dont la seule présence suffit à précipiter l’escalade de violence, souvent sexuelle, des défis imaginés par les candidats, avec ou sans accessoires pervertis – telle une brosse à dents employée à récurer les sinus.
Conscient qu’il est impossible de rejouer la surprise de l’abandon nihiliste à l’humiliation meurtrière du premier opus, Yamanouchi aurait pu se contenter de placer Red Room 2 sous le signe de la seule surenchère ; ce qu’il fait bien entendu, du moins en partie, avec un tel extrémisme cependant, que son pire excès marque un détachement évident du spectateur, exposé au grotesque plus qu’à l’épouvantable (je n’en dirai pas plus, si ce n’est que j’invite les mères à s’abstenir). Mais les variations dans les candidats et leurs combinaisons, permettent au réalisateur d’aller au-delà du "encore plus", et de bénéficier d’une dynamique renouvelée.
Privé du potentiel du couple au cœur de Red Room, Yamanouchi cristallise des liens de projection entre Takeshi et Mutsuko – l’ex-flic a perdu sa femme aux mêmes croyances que la fanatique - qui nourrissent une terrifiante mécanique d’agression-soumission, le fanatisme asservi à l’abus vengeur, moral et corporel, tout autant qu’à l’exécution d’une volonté abjecte, avec toute l’abnégation de la dévotion. D’autant que, non contente de payer pour l’ex femme de Takeshi, Mutsuko prend aussi à la place de Kyoko que le hasard empêche le sauvage d’exploiter, contraint de la regarder violer Hideyuki, piégé par les cartes anonymes.
Comme c’était le cas pour Red Room, la force de Red Room 2 réside dans la qualité de sa mise en scène. Son montage impeccable, modelé sur son grand frère, joue avec brio de l’enrichissement progressif et rétroactif de la première rencontre des concurrents pour construire tension et antagonismes, relancer l’intérêt du spectateur pour les confrontations, sanguinolentes et sexuées. Son cadre 4/3 reste lui aussi du même acabit, tour à tour englobant et isolant dans une unité de lieu restreinte, et reste un merveilleux outil de création d’espaces relationnels, qui ne sont plus uniquement conflictuels.
Car le plus intéressant dans Red Room 2 finalement, est l’humanité inattendue qui s’y dessine, quelque peu en marge - ou plutôt en complément - de la violence. Kyoko et Hideyuki adoptent, l’un par assurance, l’autre par désenchantement, une position de détachement, ne nourrissent leur violence d’aucune animosité particulière, si ce n’est fonctionnelle, n’usent ou abusent d’un passif. On pourrait presque dire qu’ils ne jouent pas le jeu de Yamanouchi, mais la vérité est qu’ils le jouent plus encore que Takeshi et Mutsuko puisque leur violence, appliquée mais dénuée d’émotion, n’est, comme leur souffrance, que lucrative.
Un lien, désabusé et froid, qui débouche pourtant, au-delà des viols et des geysers de sang, sur un dialogue, une émotion même, égarement volontaire de Yamanouchi qui conclue son film sur un optimisme inhabituel, dans un twist SF grandiloquent et presque drôle (comme les chœurs qui accompagnent les sermons de Mutsuko), si l’on ferme les yeux sur un étranglement au cordon ombilical. Un dénouement presque mignon, qui lui permet tout de même – on ne se refait pas – de douter de l’authenticité d’une affection, non-frustratoire et donc partagée, qui serait aussi réellement humaine. Si bluette rêveuse il y a, un peu et tout de même née dans la fange, Red Room 2 reste donc heureusement majoritairement détestable.
Red Room 2 est disponible en DVD US toutes zones chez Unearthed Films, dont on attend toujours qu’ils éditent le reste de la filmographie extrémiste de Yamanouchi.






