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Japon | Rencontres

Rintaro

"De manière générale, je pense que le cinéma d’animation n’a pas de frontières, qu’elles soient de peuples, de cultures, ou de religions. Tout peut se mélanger."

A l’occasion de la sortie de son nouveau film, Yona - La légende de l’oiseau-sans-aile, nous avons eu le plaisir de rencontrer Rintaro aux Forum des Images et d’évoquer avec lui son dernier défi. Entièrement réalisé en images de synthèse, le film en casse pourtant les codes et en limite volontairement les possibilités. Explications d’un réalisateur passionné et passionnant...

Sancho : Après un précédent opus (Metropolis) plutôt à destination d’un public mature, était-ce une volonté de revenir vers un public plus jeune, cible traditionnelle – en France – des films d’animation ?

Rintaro : Je n’ai pas véritablement cherché à revenir vers le cinéma pour enfant. J’ai eu l’impression, après avoir réalisé Metropolis, d’avoir fait le tour de la 2D avec ce film, dont j’étais très satisfait. J’ai donc souhaité faire quelque chose de nouveau, un film totalement en images de synthèse, ce que je n’avais jamais fait auparavant. Pour réaliser ce projet, je voulais que l’histoire en soit très simple, pour que les images soient mises en avant, plutôt que le scénario. Par conséquent, c’est devenu un film plus abordable pour les enfants. Mais il n’est pas dans mon intention de redevenir un réalisateur de films pour enfants.

Au contraire justement d’un certain nombre de productions destinées aux enfants, vos personnages sont particulièrement fouillés, du point de vue graphique et narratif. Vous trottaient-ils dans la tête depuis un moment ou ont-ils été créés une fois le film lancé ?

Il y a deux réponses à cette question. Il est vrai que j’avais l’idée de cette petite fille, Yona, avant de monter ce projet. J’avais déjà une image de cette fille habillée en costume de pingouin. Mais c’est seulement au moment où je me suis mis à écrire que j’ai eu d’autres idées, qui ont donné naissance aux personnages additionnels.

Mon enfance a été bercée comme beaucoup par Albator, qui par essence mixait déjà des influences très diverses. Dans Yona, c’est encore plus apparent. Pourquoi tant d’influences hétéroclites, dans les thèmes et le visuel ? Quel est le processus pour parvenir à une telle richesse graphique ?

De manière générale, je pense que le cinéma d’animation n’a pas de frontières, qu’elles soient de peuples, de cultures, ou de religions. Tout peut se mélanger. J’ai beaucoup étudié les peintures occidentales, évidemment aussi ce qui touche à la culture japonaise. Ce mélange entre l’occident et l’orient est toujours présent dans mes films. Dans Yona, j’ai probablement encore accentué ce mélange. C’est une sorte de défi que je me suis lancé, et j’aimerais bien savoir si cette vision marche dans le monde entier.

Au-delà des mélanges de culture, on voit également dans Yona une dimension historique avec un mélange d’époques.

Le mélange des périodes historiques (précolombienne, moyenâgeuse, futuriste) m’intéresse toujours. C’est une source d’inspiration pour moi, et en tant que réalisateur, j’essaye de mettre un maximum de mélanges d’époques dans mes films.

C’est d’autant plus frappant que Yona se déroule à une époque indéterminée…

Exactement.

Sur Metropolis, vous aviez pu expérimenter le mélange d’animations 2D/3D. Dans quelle mesure cet exercice vous a influencé ou aidé à passer en full 3D sur votre dernier film ?

Dans Metropolis, j’ai utilisé les techniques de 3D uniquement pour les bâtiments, et principalement pour Ziggurat. Je l’ai fait pour accentuer le contraste entre la machine/la science et l’être humain. C’est là que j’ai compris les possibilités offertes par la technique des images de synthèse. Pour Yona, j’ai donc décidé d’utiliser pleinement ces possibilités sur un long métrage complet. Ce qui était important pour moi était de proposer un film qui soit différent des films de Pixar. Le seul moyen pour moi a été de conserver le côté japanimation, c’est-à-dire, paradoxalement, la touche de 2D.

Comment avez-vous réussi à concilier les deux ?

L’astuce réside dans le mouvement des personnages. Je vais vous expliquer (NDLR : il prend un crayon et commence un croquis). Dans l’imagerie de synthèse classique, il y a 24 images par seconde. Quand on travaille avec l’ordinateur, on décide des points de début et de fin d’un mouvement et il calcule automatiquement les 24 images par seconde qui se trouvent entre les deux. Disney a d’ailleurs toujours travaillé avec cette méthode de 24 images par seconde. Ce que l’on fait au Japon, c’est ce qu’on appelle « limited animation ». Quand j’ai travaillé sur la série Astroboy il y a très longtemps, c’était pour la télévision et la quantité de travail est telle que l’on n’a pas le temps d’animer 24 images par seconde. La seule possibilité était de diminuer de moitié le nombre d’images en les dupliquant. Ce qui signifie que l’on n’utilise que 12 images par seconde, et si l’on n’a vraiment pas de temps, on divise par 3 le nombre d’images, c’est-à-dire 8 images par seconde. Tout ça pour une question de temps et c’est sur cette contrainte que le cinéma d’animation japonais s’est développé. Le résultat, c’est que le mouvement est saccadé, là où avec l’ordinateur, il est très fluide. Et c’est exactement ce que j’ai fait dans Yona. C’est ce qui a été difficile car on a travaillé avec l’ordinateur qui nous a donc fourni 24 images par seconde. Nous avons donc du supprimer certaines images. J’ai du convaincre l’équipe française de l’intérêt de cette technique, par exemple avec Cédric qui est là (NDLR : Cédric Babouche, directeur artistique 3D présent en début d’entretien). Peut-être que lorsque l’on regarde Yona, on ne pense pas immédiatement que le mouvement est saccadé. C’est probablement que tout le monde est tellement habitué aux films japonais que l’on ne le remarque plus.

Le choix de la 3D était donc un défi, mais n’était-ce qu’une expérimentation ou vous semblait-elle nécessaire pour mettre en image cette histoire et son fourmillement visuel ?

Non. Mon but premier était d’expérimenter la 3D avec la méthode japonaise et prouver que l’on pouvait faire de la 3D différemment de Pixar. Quand on travaille avec l’ordinateur, et c’est flagrant dans les films de Pixar, les peaux des personnages ont l’air trop lisses, et nous avons voulu tenter de faire ressentir aux spectateurs la température, la chaleur de la peau des êtres. Egalement, pour le costume de pingouin de Yona, il fallait un rendu un peu comme celui là (NDLR : il montre son pull en laine). Volontairement, nous nous sommes donc lancés dans des choses difficiles.

Est-ce que ce choix de la 3D, au-delà du dessin, a eu un effet sur les phases d’écriture et de mise en scène ?

Pour l’écriture, nous n’avons pas fait attention à la 3D. Par contre, quand j’ai produit moi-même le storyboard, j’avais effectivement en tête la réalisation en images de synthèse. Je vais vous expliquer à quoi j’ai vraiment fait attention lors de l’écriture du storyboard. Pour créer des personnages en images de synthèse, il y a d’abord l’étape du modelling, intégrant toutes les lignes de création des visages et des corps. Même chose pour ce qui est du décor, des bâtiments. Une fois le modelling effectué, les mouvements de la caméra peuvent être extrêmement libres, on peut la faire bouger comme on le veut. C’est la caractéristique des films en images de synthèse. Dans un film de Pixar, la caméra bouge tout le temps. Pour un film utilisant l’animation limitée, on ne peut pas faire bouger la caméra tout le temps, c’est contradictoire avec la méthode. C’est pourquoi j’ai limité à une seule scène cette liberté de mouvement de la caméra. Comme vous l’avez vu dans le film, c’est la scène dans laquelle Yona s’envole. C’est uniquement dans cette scène là que j’ai fait bouger la caméra librement. En dehors de cette scène, j’ai fait bouger la caméra dans le style 2D que j’utilise depuis toujours.

Quel a été l’impact d’une co-production franco-japonaise, dans la manière de travailler et dans le résultat final ?

Je pense qu’il n’y a aucune conséquence visuelle en dépit de la co-production. J’ai tout fait pour ne pas montrer cet aspect de co-production, sinon ce n’est pas équilibré. Le mouvement de la caméra, le choix des couleurs, les personnages, tout était décidé par moi et l’équipe française a su bien s’adapter à mon intention. Cédric et l’équipe se sont donnés beaucoup de mal. Quand on regarde un film, on ne peut jamais dire : « cette partie là fait très française, cette autre très japonaise ». J’ai gardé la maîtrise sur l’ensemble et tout expliqué à l’équipe. On peut dire que l’équipe française s’est bien adaptée à la manière de travailler des japonais et à ma manière propre.

Après la série animée, les films d’animation, la 2D, la 3D, quel sera votre prochain défi ?

Maintenant que j’ai réalisé Yona, entièrement en images de synthèse, je sais que mon équipe a énormément progressé. Ils étaient débutants au démarrage et maintenant ils sont très compétents. Alors j’aimerais bien refaire un nouveau film en images de synthèse avec cette équipe qui a appris avec mon film.

A propos de Metropolis, James Cameron avait déclaré « Metropolis is the new milestone in anime ». Alors que son dernier film Avatar vient de sortir sur les écrans, êtes-vous d’avis de lui rendre la pareille en déclarant « Avatar is the new milestone in cinema » ?

Malheureusement, je n’ai pas encore vu le film, donc je ne peux pas dire. Mais en tout cas, j’apprécie énormément le travail de James Cameron. J’aimerais beaucoup le rencontrer. Et je compte évidemment voir Avatar.

Propos recueillis par David Decloux le 27 janvier 2010 à Paris.
Un grand merci à Olivier Rinaldi et Gebeka Films ainsi qu’à Shoko Takahashi pour la traduction.
Photos de Rintaro : David Decloux.

- Article paru le mercredi 3 février 2010

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