Rock ’n Roll Cop
De tous les réalisateurs Hong-Kongais "exilés" aux USA, Kirk Wong est sans aucun doute celui qui me manque le plus. Rock ’n Roll Cop - dernier film de sa trilogie "true crime" comprenant aussi Crime Story et Organized Crime and Triad Bureau (OCTB) - est le dernier film que le réalisateur a tourné avant de quitter ce qui était encore, à l’époque, la colonie anglaise de Hong Kong. Et Dieu sait que Kirk Wong craignait qu’il n’en soit plus ainsi... Fuyant la rétrocession, notre homme s’en est allé rejoindre les étoiles américaines, et ne s’est pas retourné depuis. Ce qui ne l’empêche pas de nous avoir abandonné sur un chef-d’oeuvre... un de plus pour le réalisateur de Gunmen !
Le "Rock ’n Roll Cop" du titre n’est autre que notre très cher Anthony Wong, qui avait justement déja tourné cette année-là avec Kirk Wong pour les besoins de cette immense tuerie qu’est OCTB. Pour l’occasion, Anthony franchit - avec une certaine ironie - la barrière dont le réalisateur se plait tant à brouiller les contours : celle de la justice. Précédemment Boss dans les Triades, le voici donc inspecteur de police au service de sa Majesté.
L’inspecteur Hung est un flic discrètement passionné de Rock - collectionneur de vinyls pour être plus précis - lancé aux trousses de l’énemi public numéro un, Shum Chi-Hung (Yu Rong-Guang - My Father is a Hero, Musa). Chi-Hung, accompagné de sa meute, a commis un certain nombre de crimes à Hong Kong - les derniers en date étant le meurtre d’un policier et un vol ravageur - mais aussi de l’autre côté de la frontière. C’est pourquoi, lorsqu’il retourne en Chine Continentale, Hung est envoyé à sa poursuite, pour recevoir l’aide de la police chinoise.
Sur place, notre inspecteur effectivement "rock ’n roll" (il s’habille de cuir noir alors que tout le monde est en costard) doit apprendre à travailler avec les forces de police locales, et plus particulièrement avec Wang Jun (Wu Xing-Guo - What Price Survival). Mais Hung porte un jugement trop ouvertement dépréciateur sur les autorités chinoises, et la collaboration devient rapidement compliquée. D’autant qu’il agit toujours en marge de ses coéquipiers improvisés, et provoque toujours un bazar phénoménal - se retrouvant par exemple lui-même pris en otage par Chi-Hung. A chaque nouvel tentative d’arrestation, le jeu de poursuite devient plus brutal, plus personnel et plus désespéré...
Bienvenue dans l’univers merveilleux de Kirk Wong - un monde tellement cruel que même un chat qui regarde un truand de travers se retrouve explosé (littéralement) contre un mur. Un monde où ce même chat est nourri de force à un flic, lequel est par la suite assassiné - d’abord à coups de pelles, puis d’une balle derrière l’oreille. Un monde où les triades s’amusent brutalement avec les prostituées, leur remplissant la bouche de glaçons avant de leur donner un coup de poing dans la machoire. Un monde dans lequel les voleurs ne répètent jamais deux fois un avertissement avant d’exploser le crâne d’un innocent...
Kirk Wong - tout comme un certain Ringo Lam - croit en la dure réalité de la vie. C’est dans cet univers sans pitié qu’évolue le criminel Chi-Hung (je rappelle au passaque que le film est basé sur une histoire vraie) mis en scène par Rock ’n Roll Cop. Un univers dans lequel nos deux héros, Hung et Wang Jun devront bien plonger à un moment où à un autre, s’ils veulent que ce jeu ultra-violent touche à sa fin.
Le propos de Kirk Wong ? Comme d’habitude, forcer la disparition de la très fine ligne qui sépare les flics des criminels qu’ils poursuivent. Non pas que les flics soient des pourris ; mais la politique, et des lois mal ajustées à des comportements asociaux si extrèmes, les empêchent souvent de faire leur travail. Ici, bien sûr, ce sont les conflits politiques entre la Chine et Hong Kong qui empêchent l’affaire d’avancer. La scène de filature où tous les groupes de flics "adverses" se mettent des batons dans les roues, aboutissant sur l’évasion de la fille suivie, en est d’ailleurs la plus belle démonstration - en plus de représenter un incroyable travail de réalisation et de montage. Intervenant à mi-chemin dans le film, cette scène marque pour Hung et Wang Jun l’acceptation de leurs obligations. Délaissant leurs "nationalités", ils deviennent une fois pour toutes des flics "sans frontières", et ce jusqu’à la fin - terrible et symbolique, donc magnifique - du film.
Rock ’n Roll Cop est, comme beaucoup des films de Kirk Wong, extrèmement nerveux - presque vivant. Ceci doit autant au travail de réalisation qu’au montage, ainsi qu’aux prestations globalement parfaites des acteurs du film.
L’image est constamment en mouvement, en évolution, la violence grandissante de l’action semblant contaminer aussi bien les personnages que la mise en scène. La différence de rythme entre l’ouverture du film (la première scène, constamment interrompue par un générique muet) et le final rapide, brutal et bruyant marque bien cette évolution, qui renforce encore celle de ses personnages - et surtout celle de Wang Jun, flic propre sur lui qui se retrouve confronté à la réalité de la nature humaine, dans ce qu’elle a de plus (auto-) destructrice.
Ce dernier explicite d’ailleurs, paradoxalement, l’arrivée de la rétrocession comme fin d’un facteur nuisible à son travail. Le sourire que lui renvoie Anthony Wong est-il sincère, ou alors traduit-il toute l’incertitude moqueuse de Kirk Wong face à ce même évènement ? Comme souvent chez le réalisateur - et aussi son acteur - la distinction entre les deux attitudes est extrèmement difficile à effectuer... mais Rock ’n Roll Cop est quand même très clairement un chef-d’oeuvre !
Rock ’n Roll Cop existe en DVD HK chez Ocean Shores.


