Rôningai
La fin d’une époque magnifiée par ses derniers héros brisés...
A quelques enjambées d’Edo, dans une petite bourgade, une taverne tenue par un certain Tahei sert de repère aux prostituées, ronin, marchands et à quelques paumés... Goemon, le sympathique protecteur des ces dames vit une vie paisible, entre alcool et petits duels. A ses côtés Oshin, autoproclamée et reconnue comme étant la plus belle et la plus expérimentée des prostituées. Gonbei, un ronin solitaire secrètement amoureux d’Oshin. Magozoemon, ex-samurai du shogun, tente une reconversion dans la vente d’oiseaux avec sa jeune sœur Obun. Gennai, un ronin fêtard et impétueux fait irruption dans leur vie... Une prostituée est retrouvée sauvagement assassinée... suit alors une vague de meurtres visant essentiellement ces femmes des rues. Tahei, témoin de l’un des crimes, est supprimé à son tour...
Aux origines du projet mis en chantier par Kazuo Kuroki, deux hommes... Masahiro Makino (1908-1993), réalise en 1928 le film Rôningai - Dai Ichiwa Utkushikiemono. Réalisateur émérite de deux-cents-soixante-et-un long-métrages, Masahiro est le fils de Shozo Makino (1878-1929), considéré quant à lui comme étant le "père du cinéma japonais"... Rôningai version ’89 est un hommage cinématographique rendu au pionnier du septième art nippon, soixante ans après sa disparition...
L’action de Rôningai se situe dans un Japon changeant, se rapprochant des grandes transformations de l’ère Meiji (1867)... Un Japon qui se cherche, politiquement, socialement, en pleine réforme, perdu dans ses craintes et ses aspirations d’ouverture sur le monde... L’ère Meiji ("lumière") verra la fin de la suprématie des Tokugawa, et par la même la disparition du shogunat et de la hiérarchie instaurée par les shogun (et donc la disparition de la caste des samurai), laissant à l’empereur les pleins pouvoirs... C’est dans cette atmosphère de grands bouleversements historiques que nos héros déchus vont livrer un combat contre eux-mêmes, contre leur peurs, une sorte de chant du signe sanglant en guise d’adieux à une époque révolue... la leur.
...Rôningai, pourrait faire penser à une sorte de chanbara spaghetti d’une beauté formelle exemplaire. Chanbara spaghetti ?! Oui ! Rôningai n’est pas un film de sabre classique, et son univers sombre et désenchanté, malgré tout emprunt d’un humour - ou cynisme - bien présent, est à rapprocher du cinéma de Sergio Corbucci (Django, Vamos a Matar Compañeros), tout au moins dans son approche du genre... Mais avant tout, la vision du film de Kuroki fait intimement penser à un autre chef-d’œuvre du septième art : The Wild Bunch (La Horde Sauvage /1969) de Sam Peckinpah. Impossible de ne pas voir en nos quatre ronin, la déchéance d’une gloire passée concrétisée par un dépit à peine dissimulé... mais le rêve est toujours en eux, une fougue qui, même si elle est enfouie au plus profond de leur âme, les empêche de sombrer totalement dans un processus d’apitoiement sur soi... Des héros désabusés emprunts d’un ultime rêve de justice, prêts à tout pour prouver qu’ils sont encore, et peut-être pour une dernière fois, de vrais guerriers et non des chiens comme ils sont traités par les autorités en place...
...en dehors de son aspect chanbara, Rôningai mêle des éléments de polar politique à son univers. Les meurtres sont perpétrés par une sorte de milice qui agit masquée (ne vous inquiétez pas, il n’y a pas de spoiler !), sous couvert d’une "épuration du Japon"... Le côté trouble de l’époque rajoute à l’égarement général, laissant transparaître une montée du nationalisme.
Pour cet ultime hommage, Kazuo Kuroki, réalisateur connu pour son indépendance au sein de l’industrie cinématographique nippone, à qui l’on doit notamment le magnifique Ryoma Ansatsu, s’est entouré d’une cohorte d’acteurs au talent reconnu pour interpréter ses quatre sublimes ronin... Dans le rôle de Gennai, on retrouve l’immense Yoshio Harada (Zigeunerweisen, Onibi), habitué de Kuroki, qui quinze ans après avoir interprété Ryoma Sakamoto, donne une véritable "vie" à son personnage... Goemon, marque le dernier rôle au cinéma du génial Shintarô Katsu (Yakuza Zessyô, Goyôkiba) - frère du non moins exceptionnel Tomisaburo Wakayama et fils du grand joueur de Shamisen Katsutôji Kineya - qui restera à tout jamais dans la mémoire collective Zatoichi, le masseur/sabreur aveugle le plus célèbre du 7ème Art nippon. Le rôle de Gonbei fût quant à lui confié à un autre habitué de Kuroki, Renji Ishibashi (Chûgoku no Chôjin, Hotaru) dont le talent n’est aujourd’hui plus à prouver. Quant à Magozoemon, c’est l’incommensurable, le génialissime, le... bon bref, l’excellent Kunie Tanaka qui lui prête ses traits. Eternel second rôle du cinéma japonais, le bonhomme le plus sympathique de l’univers promène son physique depuis 1957 dans deux cents onze films à ce jours ! Immuable interprète de Goro Kuroita dans le dorama le plus apprécié du pays du soleil levant, j’ai nommé Kita no Kuni Kara, on a pu le voir chez les plus grands, notamment chez Kurosawa (Dodesukaden), Fukasaku (Jingi Naki Tatakai), Gosha (Goyokin), Furuhata (Yasha), j’en passe et des meilleurs !... de toute façon, Tanaka mérite un dossier à lui tout seul...
...aux côtés de nos quatre ronin, outre la très belle Kanako Higuchi (Manji - version’83 réalisée par Hiroto Yokohama, Bedtime Eyes), on retrouve le grand Kei Satô (Gishiki, Yomigaeru Kinrô) acteur fétiche de Nagisa Oshima, Hiroko Isayama (Joshuu Sasori - Dai 41 Zakkyobô, Suri), mais aussi Michitaru Mizushima (Ankokugai no Bijo, Mittsu no Kao) qui compte près de trois cents long-métrages à son actif - tournés entre 1925 et 1989... Bon, je stoppe ici ce pavé sur le casting, mais que voulez-vous, avec une telle distribution...
En dehors du côté hommage à tout un pan du cinéma nippon, Kuroki signe un film magnifique et désenchanté, à l’image de ses héros, dont l’humanité et le courage explosent littéralement dans un final transcendant aussi sublime que désespéré. Rôningai, chanbara somme mêlant humour et tragédie, s’impose en un film brillant et maîtrisé...
PS : l’un des assistants réalisateur de Rôningai est un certain Takashi Miike...
Uniquement en VHS (Shochiku Video) au Japon...
DVD (HK) | Panorama Entertainment | NTSC | Zone 3 | Format : 1:1:66 - 4/3 | Images : Une définition convenable... mais rien d’exceptionnel | Son : Un 5.1 bien trop surfait... préférez lui la piste stéréo.
Suppléments : Bio/filmo de Kazuo Kuroki, ainsi qu’un petit "livret" qui en reprend les mêmes info... bref, pas grand-chose à se mettre sous la dent !
Ce DVD contient des sous-titres optionnels anglais et chinois.


