Route 225
Eriko a quatorze ans. Elle jette un oeil en cuisine pour constater que sa mère est toujours aussi généreuse sur le lait quand elle prépare son fameux ragoût, puis retourne zoner devant la TV. Quelques instants plus tard, sa mère la sort de sa léthargie télévisuelle pour lui demander d’aller chercher son petit frère, Daigo, à la sortie de l’école. "Et n’oublie pas de prendre un parapluie. La météo a dit qu’il allait pleuvoir." Une corvée de choix pour une grande soeur.
Sur le chemin, Eriko croise Macho sur son vélo. Ils échangent quelques mots. Puis au détour d’un carrefour, elle passe près d’un jardin dans lequel se trouve posté un labrador vêtu d’un harnais. Arrivée au niveau de la Route 225, elle emprunte une passerelle pour traverser celle-ci. Observant la sculpture rouge d’une main qui lève le pouce sur le toit d’un bâtiment, elle lui répond fièrement en levant le sien. Pas un nuage ne couvre le ciel bleu.
Daigo est assis sur une balançoire, en maillot de corps, quand sa soeur le retrouve. Sur le dos de la chemise blanche qu’il a ôtée, des camarades de classe ont écrit au marqueur noir : "Je suis huit fois pire que la dioxine". Daigo ne souhaite pas que sa mère l’apprenne et demande donc à sa soeur de l’aider en ce sens ; même si Eriko aime taquiner son petit frère, elle accepte de détourner l’attention de leur mère lorsqu’ils rentreront chez eux.
Passerelle au-dessus de la Route 225, ciel toujours aussi clair, labrador dans le jardin... Même chemin qu’à l’aller, mais en sens inverse. Toutefois, au détour du carrefour marqué par le chien, la rue donne désormais sur la mer. Ainsi commence pour nos deux héros un étrange road movie dont la destination reste à définir pour le spectateur.
Car à l’image d’un Mulholland Drive ou d’un Lost Highway, Route 225 nous plonge dans les méandres des réalités alternatives. De fait, chacun peut y aller de sa propre interprétation sur le pourquoi du comment, mais face à ce type d’objet filmique, le mieux reste souvent de ne pas trop se poser de questions et de se laisser porter par les sensations procurées par la pellicule. C’est d’ailleurs selon cet angle que le réalisateur Yoshihiro Nakamura a encouragé le public à aborder son film, en introduction de la projection officielle au Festival du Film Asiatique de Deauville. Et l’exercice est plutôt réussi, car on se laisse facilement absorber par la performance des deux jeunes acteurs.
Sans aller jusqu’à l’identification, le spectateur éprouve de la compassion pour eux à mesure qu’il partage leur voyage. Avec humour lorsqu’il s’agit du quotidien de la relation fraternelle. Avec interrogation lorsqu’il s’agit de comprendre ce qui leur arrive. Avec émotion lorsque les deux enfants communiquent avec leurs parents sans arriver à les retrouver physiquement pour autant.
Proche du roman de Chiya Fujino dont il est l’adaptation, Route 225 explore donc les mailles du tissu familial au travers d’une fable poétique dont le ton rappelle par moments celui du Voyage de Chihiro ou de l’Été de Kikujiro, notamment dans l’évolution du personnage d’Eriko. Et si le parallèle phonétique entre Route 225 et √225 (la racine carrée de 225, c’est-à-dire Root 225, qui vaut 15) évoque bien évidemment le passage d’Eriko à l’âge de 15 ans, je ne peux m’empêcher de voir en ce symbole mathématique la passerelle qui surplombe la Route 225 et que l’on revoit plusieurs fois dans le film. Élément central du film ? En tout cas, le fait qu’Eriko ait emprunté cette passerelle avec confiance (l’image du pouce levé, synonyme que tout va bien) représente selon moi le déclic qui bascule son univers/regard entre celui des enfants et celui des adultes. La transition s’avère douloureuse, chargée d’incompréhensions, comme l’est toute adolescence, mais son dénouement est heureux comme le témoigne la joie de vivre qui rayonne sur le visage d’Eriko à la fin du film.
On ressort de la projection de Route 225 avec le sentiment d’avoir vu un beau film. Frais. Poétique. Avec le sourire. Que demander de plus ?
Diffusé en compétition officielle au cours de la 9ème édition du Festival du film asiatique de Deauville, Route 225 est disponible en DVD au Japon, sans sous-titres.
Le roman de Chuya Fujino est par ailleurs disponible traduit en français, aux éditions Thierry Magnier.



