Running Wild
Beyond the Law.
Après avoir réussi à imposer une griffe cinématographique sur le polar asiatique, grâce à Park Chan-wook, et plus récemment Kim Jee-won , la Corée semble bien décidée à soutenir le genre qui, avec la comédie romantique semble le plus apte à singulariser son cinéma commercial, souvent trop proche des canons hollywoodiens.
Si la qualité technique des réalisations coréennes ne souffre plus d’aucun complexe, la quantité impressionnante de jeunes réalisateurs de talents qui se sont récemment vus confier d’importants budgets pour leurs débuts a de quoi surprendre, mais est loin d’être un hasard quand on sait que le pays est un des plus gros producteurs de courts-métrages (passage quasi obligé de tout cinéaste en herbe). De Yim Phil-sung (Antarctic Journal), à Bang Eun-jin (Princess Aurora), en passant par Min Joon-ki (Heaven’s Soldiers), la déferlante hallyu (vague coréenne) ne semble pas prête de se tarir.
Le novice Kim Sung-soo, un émule de Park Chan-wook, se voit donc aux commandes d’un nouveau polar dont le casting semblait taillé pour séduire l’adolescente en mal de figures rebelles à la cool attitude. Il accouche au final d’un polar tragique stylisé, au nihilisme peu coutumier au pays du matin calme.
Jang Do-young (Kwon Sang-woo), un détective au sang chaud qui a perdu toute foi en la loi, tente tant bien que mal de préserver son jeune frère des mauvaises fréquentations et de la drogue. Mais ce dernier se fait assassiner en pleine rue, et Jang décide de poursuivre son tueur et le venger envers et contre tout, ce qui provoque sa suspension pour brutalités. De son côté le procureur Oh Jin-woo (Yu Ji-tae) enquête depuis des années sur le plus gros parrain de la mafia. La route des deux détectives va alors se rejoindre au gré des événements. Ensemble, ils vont se livrer à une lutte à mort face au machiavélique mafieux.
La scène d’ouverture, qui lance une poursuite débridée en pleine ville, pourrait nous laisser croire à tort qu’on est en plein action movie à la sauce Michael Bay, d’autant que Running Wild emprunte les codes du buddy cop movie. Oui mais voilà, nous ne sommes pas en Amérique, où la tradition du genre à acquis ses lettres de noblesse, de 48 heures, à L’Arme Fatale en passant par Black Rain. Alors qu’outre atlantique on joue volontiers la carte de l’antagonisme ethnique, la Corée verse plus volontiers dans l’opposition socio-économique.
En effet, Jang Do-young est un jeune policier d’origine modeste qui vient de la rue. Il s’échine à gagner de l’argent, jouant occasionnellement au loto, dans l’espoir de guérir sa mère atteinte d’un cancer, alors que Oh Jin-woo présente toutes les qualités du super flic surdiplômé, honnête, et à l’idéalisme convaincu. Si le tandem de flics avait déjà donné quelques résultats, notamment sous l’angle de la parodie avec Two Cops (1993) du réalisateur et nabab du cinéma coréen Kang Woo-suk, il n’avait pas encore livré sa pleine mesure dans le style hard boiled, décidément en vogue à Chungmuro.
Si dans une certaine mesure, Kim Jee-won faisait du Park dans Bittersweet Life, force est de constater que Kim Sung-soo est loin de s’affranchir de l’ombre étouffante de “Mr. Vengeance”. Il emprunte une esthétique stylisée, dont l’ambiance nocturne dominante donne une tonalité expressionniste à l’image, à base de violents contrastes. Les mouvements de caméras sont fluides, parfois virtuoses mais rarement emphatiques. Un montage dynamique lors des scènes d’action dont la violence héroïque et virile lorgne souvent vers Bittersweet Life ou verse dans l’exhubérance d’un Ryu Seung-wan, sans pourtant parvenir au même niveau d’intensité, hormis le final. La beauté et le soin apportés aux cadrages et compositions démontrent un sens artistique, que la photographie de Lee Jin-ho magnifie. Du style, Running Wild en a... c’est une évidence. Si Kim Sung-soo se met parfois à filmer une berline noire de nuit comme un Johnnie To en grande forme, ce n’est pas ce qui constitue le principal intérêt de cette oeuvre aux résultats commerciaux nationaux pourtant décevants.
En effet, la teneur de l’opposition entre les deux policiers, qui vont être confrontés à la réalité impitoyable du monde criminel et politique, concentre à juste titre toutes les attentions du cinéaste et parvient à rendre l’oeuvre attachante, par delà certains stéréotypes éculés, du jeune frère tué qui devient trop facilement alibi de vengeance, à la mère malade jouant quant à elle le catalyseur émotif mais peu original du film. Le cinéaste, en confrontant ces deux hommes aux styles et mentalités opposées, tous deux incorruptibles, face à une adversité qui les dépasse, en révèle alors les forces et les faiblesses, et par là même leur humanité dissimulée sous le poids d’échecs passés.
Si un personnage et un acteur se dégagent volontiers de Running Wild c’est assurément celui du chien fou interprété par Kwon Sang-woo (Volcano High, Spirit of Jeet Keun Do), bien décidé pour le coup à casser son image de star pour midinettes. Son air de rebelle au teint bronzé et belle gueule à la brutalité nihiliste, cache une fêlure émotive, lui offrant une sympathie instinctive auprès du public, que le froid et peu expansif Yu Ji-tae - qui est tout de même loin du charisme d’un Lee Byung-hun -, ne parvient pas à atteindre, malgré son revirement final.
Si la violence sur fond de vengeance se retrouve de nouveau au coeur des préoccupations du métrage, à la différence de la trilogie Chan-wookienne, qui interrogeait la capacité rédemptrice de cette même violence de façon plus symbolique et abstraite, Kim Sung-soo la place comme le dernier rempart face à l’injustice. Le coeur du film étant au final la limite de la loi. Quand l’idéalisme d’Oh Jin-woo se heurte au machiavélisme du Big Boss et qu’il comprend que les fondements même de la société et de la loi (ici collusion entre mafia et politique sont habilement exploités) qu’il défend sont pervertis à la base, tout espoir l’abandonne définitivement.
Non sans faiblesses - scénaristiques notamment - Running Wild se révèle être un film sur la perte de l’idéal, celui de la foi en la justice - sujet on ne peut plus actuel -, et par extension celui de toute une jeunesse face à une société âpre et faussée. Si l’oeuvre dresse un portrait touchant, parfois caricatural de deux flics en jouant volontiers la carte émotive - un pléonasme quand on parle de cinéma coréen -, et ce n’est pas la musique de Kenji Kawai moins pesante qu’à son habitude qui le contredira, il offre un final des plus sombres et nihilistes, laissant le spectateur face à un vaste vide, à l’image de la société contemporaine qui n’offre plus aucune perspective à une jeunesse qui s’achemine tout droit vers un no future.
Si certains peuvent y voir une apologie de la violence, Running Wild pose pourtant une question essentielle à la jeunesse à laquelle il s’adresse. A travers la fougue de son jeune chien fou, transpire le caractère autodestructeur de l’homme. Alors que Bittersweet Life ou Mr. Socrates tentaient de distiller des préceptes philosophiques susceptibles de permettre à l’homme d’appréhender cette violence, qui semble si organique en Corée, Running Wild n’offre aucune réponse, bien au contraire, il nous plonge dans le doute et l’effroi... c’est peut-être ça qui donne sa singularité au film.
Film disponible en DVD Coréen zone 3, NTSC chez KD Media.
La BO du film signé Kenji Kawai est disponible chez Pony Canyon (Corée).
Site officiel du film : www.yasu2006.com





