Ryû ga gotoku : gekijô-ban
Une saga criminelle qui voit un yakuza fraîchement sorti de prison aider une petite fille dans la recherche de sa mère, d’anciens collaborateurs et amis qui ont décidé d’avoir sa peau, un pactole d’argent sale qui a disparu et dont la piste commencerait avec l’enfant, des gangsters de manga aux caractéristiques exacerbées... qui d’autre que Takashi Miike, était mieux placé pour accepter de réaliser l’adaptation sur grand écran du hit de Sega, Ryû ga gotoku (Yakuza) ? Déjà conçu comme un film avec sa pléthore de cinématiques, n’utilisant les phases de jeu que pour avancer à la force des poings, pieds et autres enseignes lumineuses jusqu’au prochain retournement d’une intrigue complexe, pleine de circonvolutions qui amènent le joueur / spectateur dans les moindres recoins d’un quartier haut en couleurs de Tokyo, Kabukichô, Ryû ga gotoku aurait parfaitement pu être transposé tel quel ; dans une forme condensée certes - puisque ce premier opus compte environ 15 heures de jeu - mais en utilisant les cinématiques comme storyboard. Le résultat aurait été bourré d’action et de violence jusqu’à l’éclatement, et aurait certainement était très agréable à regarder. Trop facile.
Après avoir supervisé le prologue promotionnel accompagnant la sortie du jeu - Ryû ga gotoku - jissha-ban -, qui collait de très près au fourmillement de personnages de l’édifice, Miike fait appel à la plume de Seishu Hase (The City of Lost Souls) pour extraire de cette grande histoire de trahison un substrat iconoclaste, si loin si proche, qui renvoie le réalisateur vers les films confinés qui ont fait sa réputation, Dead or Alive premier du nom et autres Rainy Dog. Exit les raisons de l’emprisonnement de Kazuma Kiryu, Hase reformule son parcours post-libération pour l’orienter autour de deux axes opposés, une amitié nouvelle et un affrontement rémanent. S’il rajoute des trames annexes, Hase purge le jeu d’un trop plein de relations, de son monde souterrain et de sa galerie de personnages haut en couleurs et techniques de combat, pour transcender le duel qui oppose Kiryu au fabuleux Goro Majima.
L’une des caractéristiques de Ryû ga gotoku le jeu, en dehors de son approche culturelle du monde des yakuza, reste sa modélisation fidèle de Kabukichô et de ses multiples enseignes, bars de strips, vidéo clubs, boîtes de nuit et autres convini. Facile donc pour Miike de retrouver la marque visuelle du jeu, puisqu’il s’agit de l’identité réelle d’un quartier. Là où le réalisateur excelle toutefois, dans les première minutes de cette adaptation, c’est dans la localisation de ce quartier aux milles lumières, grouillant de vie et de mauvaises réputations, le cadrant comme si, à la manière du jeu, il était isolé du reste de la mégalopole par une barrière invisible. Kiryu déambule au milieu de la foule, fraîchement sorti de prison, désireux de retrouver son amie Yumi qui semble avoir disparu. Chemin faisant, il croise une petite fille seule, Haruko, à la recherche de sa mère . Comme il est impossible pour un tatoué de trouver la voie de la rédemption, Haruko est recherchée par un ennemi de Kiryu, Majima, en tant que piste potentielle vers l’argent disparu des comptes d’un clan yakuza. Disparition qui fait le malheur de deux braqueurs encagoulés, qui maintiennent tout de même les employés de la banque délestée en otage, pendant que des flics, supervisés par l’inspecteur Date, surveillent l’évolution de la situation. Date, ancienne connaissance de Kiryu, va lui venir en aide ; tandis que deux adolescents, Satoru et Yui, inspirés par une démonstration de violence du héros, se mettent en tête de devenir des braqueurs de convini et autres restaurants, pour régler des dettes et venir à terme d’une grossesse indésirée. Tout cela bien entendu, le temps d’une longue nuit...
Ceux qui connaissent le jeu auront constaté au travers de ce résumé, l’étendu du remaniement effectué par Seishu Hase. L’auteur a imaginé une nouvelle mise en scène de la disparition de l’argent sale, rajouté les personnages de Satoru et Yui, lueurs d’échec pour ceux qui tentent de suivre la voie du Dragon, fait de Majima l’adversaire principal de Kiryu - et donc délaissé l’amitié détruite d’un certain Nishiki - et condensé une histoire fleuve le temps d’une nuit. Pourtant, Ryû ga gotoku : gekijô-ban s’affirme rapidement comme une adaptation fidèle du matériau d’origine, reprenant les mécaniques caractéristiques du jeu - les personnages entrent en "heat mode", et boivent des boissons de stamina pour restaurer leur énergie et autres jauges de coups spéciaux -, restituant certaines scènes - la première confrontation entre Kiryu et Majima au club de baseball -, en supprimant beaucoup et en reformulant d’autres, pour livrer une adaptation dans les grandes lignes, esquisse immédiatement reconnaissable de l’esprit du jeu, fortement identitaire à défaut d’être détaillée.
Un travail de compression donc, qui permet inversement à Takashi Miike de jouer le jeu d’une dilatation qui transcende la simple adaptation. En se focalisant sur le psychopathe à la batte de base-ball, Miike va plus loin que le jeu, transformant cette affection sportive en méthode de combat. Ainsi Majima se ballade-t-il avec un larbin qui lui sert des balles pour éliminer ses adversaires... Un gimmick extravagant qui donne au film sa plus remarquable séquence, opposant Kiryu et Majima dans un simple couloir, cœur d’un duel qui s’étire sur tout le film et donne à Ryû ga gotoku : gekijô-ban des allures de combat en plusieurs rounds. L’esthétique du film, dans le déploiement de ces différentes phases de confrontation, est simple, construite autour de quelques couleurs, et joue énormément de cet élément de décor vivant qu’est Gorô Kishitani, l’acteur validant par sa seule interprétation le choix scénaristique de Seishu Hase.
Œuvre fugace et dense, à mi-chemin entre l’exploitation commerciale et l’auteurisme singulier, Ryû ga gotoku : gekijô-ban nous renvoie quelques années en arrière, avant l’incroyable débauche formelle d’Izo, tout en affirmant cette propension de plus en plus exacerbée de Miike au minimalisme en matière de décors. Film rageur et cathartique, sans le moindre détail ou débordement inutile, cette adaptation confinée trahit sa source pour mieux la transcender, aller au-delà de la saga criminelle en l’esquissant au travers d’un face à face presque irréel. Pas forcément profond mais loin d’être superficiel, ce Ryû ga gotoku, en ce qu’il est une réappropriation synthétique et ouverte, jouissive et réfléchie d’un univers balisé, devrait servir de modèle à quiconque s’attaque aux trop souvent médiocres adaptations vidéoludiques.
Ryû ga gotoku : gekijô-ban est pour le moment uniquement disponible DVD japonais, sans sous-titres.




