Samaritan Girl
Des sourires et des hommes.
Deux adolescentes, Yeo-Jin (Kwak Ji-Min) et Jae-Young (Seo Min-jung) rêvent de faire un voyage en Europe. Afin de réunir la somme d’argent nécessaire à l’accomplissement de ce rêve, Jae-Young se prostitue. Protectrice, Yeo-Jin sert de garde-fou à son amie, s’occupant des aspects "administratifs" de leur négoce : elle assure ainsi les prises de rendez-vous, reste vigilante à l’égard de la police, et tente d’empêcher que la générosité affective de Jae-Young ne la mette dans de mauvais draps. Un jour pourtant, l’affaire dérape alors que la jeune prostituée se fait coincer par deux policiers ; c’est avec un sourire désarmant lancé en direction de son amie que Jae-Young se jette de la fenêtre de la chambre de son hôtel de passe. La jeune femme décède peu de temps après à l’hôpital, alors que Yeo-Jin fait tout son possible pour exhaucer le dernier souhait de la mourante : retrouver un client dont elle est tombée amoureuse. Dans l’optique de venir à bout de son sentiment de culpabilité, Yeo-Jin décide alors de retrouver chaque client de Jae-Young, de coucher avec eux et de leur rendre l’argent qui ne lui servira plus...
Comme le réalisateur l’a lui-même souligné à l’occasion de sa présentation à Deauville, Samaritan Girl marque une étape dans la carrière déjà bien remplie de Kim Ki-Duk. Divisé en trois partie, le film récemment primé à Berlin s’articule autour de trois protagonistes.
Le premier - celui de la jeune Jae-Young -, est issu de l’univers marginal partagé par la quasi-totalité des oeuvres du metteur en scène coréen. Avec son magnifique et permanent sourire, l’adolescente prostituée est une authentique figure de générosité et non de décadence ; un décalage (du point de vue de la morale "sociale" - ie du plus grand nombre) qui rapproche Samaritan Girl du reste de la filmographie de Kim Ki-Duk. Là où ce dixième film se distingue de ses confrères néanmoins, c’est que le réalisateur a décidé de confronter cette samaritaine au monde extérieur. Les clients de nos deux héroïnes peuvent une fois de plus passer - par le biais de leurs perversions - pour des marginaux, mais ce sont des personnages issus de nos quotidiens, non filtrés par le prisme du réalisateur. Par ailleurs, l’action se situe non pas dans un milieu rural mais dans un mileu urbain qui, paradoxalement si l’on s’en tient au choix des cadres de Birdcage Inn, The Isle ou encore Address Unknown, favorise les différences. Retiré de son contexte "habituel", le personnage de Jae-Young ne tarde pas à affirmer son inadéquation avec l’univers qui l’entoure. Stigmate enchanteur de cette insertion impossible, son sourire en toute circonstance participe à faire d’elle un être littéralement exceptionnel, passeur implicite pour la seconde protagoniste de Samaritan Girl : Yeo-Jin.
Yeo-Jin elle, appartient au cadre urbain des deux premières parties du film. Confrontée au suicide enjoué de Jae-Young, Yeo-Jin va consciemment se glisser dans le rôle de son amie pour tenter d’effectuer un trajet inverse au sien, de l’intégration vers la marginalisation. Un parcours "anti-initiatique" qui est pourtant celui, ici accepté comme forcément mimétique, de la compréhension. Se faisant, Yeo-Jin/Samaria construit son appartenance à l’univers cohérent développé par l’oeuvre de Kim Ki-Duk, et y entraîne involontairement le troisième personnage du film : son père.
Flic de son état, le père de Yeo-Jin s’occupe de sa fille avec une affection dédoublée depuis le décès de sa femme. Attentionné et doux, il est quotidiennement confronté à la face obscure de l’humanité mais parvient à rester du bon côté de la barrière, ô combien perméable, entre le moral et l’immoral. Un jour pourtant, la découverte des activités de sa fille se juxtapose à celle du cadavre d’une jeune prostituée ; le paternel blessé entreprend alors une croisade pour la moralité, au cours de laquelle il n’aura d’autre choix que de laisser ses propres principes s’éttioler.
Kim Ki-Duk tente ici d’extraire ses personnages de leur milieu naturel, pour mieux affirmer la marginalisation inhérente à chacun d’entre nous. Pire encore, celle-ci apparaît comme étant nécessaire à notre compréhension des mécanismes humains et de leurs débordements limitrophes. La défense des valeurs de vie passe obligatoirement par leur destruction, tout comme l’accompagnement d’un enfant par ses parents entraîne obligatoirement à terme, son abandon. La réconciliation qui conclue Samaritan Girl est donc forcément en demi-teinte mais elle est parfaitement humaine, la frontière entre le moral et l’immoral y perdant de sa netteté trop souvent immuable.
Cette nouvelle pièce maîtresse de Kim Ki-Duk, plus épurée que les précédentes mais aussi plus maîtrisée encore, est donc un film difficile, que le réalisateur lui-même qualifie de dangereux. Mais c’est avant tout un miroir magnifique et pertinent, dans lequel se reflète sans la moindre déformation la beauté complexe de la vie et de son apprentissage, ainsi que l’inertie intrinsèquement destructrice du couple parent/enfant.
Diffusé dans le cadre du 6è festival du film asiatique de Deauville, Samaritan Girl est annoncé dans nos salles pour octobre 2004.
Samaritan Girl a valu à Kim Ki-Duk d’obtenir le prix de la mise en scène à Berlin en février 2004.

