Sanpei the Fisher Boy
Une compétition de pêche se termine au bord d’une rivière nippone, quelques fanfarons locaux, suréquipés, persuadés de se partager le podium, quand un jeune garçon l’emporte, haut la main, avec 51 poissons attrapés contre leurs maigres 29, battant de justesse son grand-père et sa demi-centaine de prises. Mauvais perdants, les prétentieux accusent Sanpei Mihira (Kenta Suga), chapeau de paille vissé sur la tête, et le vieillissant Ippei (Tsunehiko Watase) de tricherie. Du coup, le garçon leur lance un défi : s’il parvient à pêcher plus de poissons qu’eux en une heure, à l’aide d’un seul appât vivant, la rivière leur sera désormais interdite. Persuadés de l’emporter, les trois hommes désignent leur champion et le regardent remplir son panier, pendant que Sanpei lui, se repose en haut d’un arbre, patauge dans l’eau… et, quelques minutes avant la fin, assure sa victoire avec le sourire. Le trio se rend à l’évidence : avec sa simple canne en bambou, ce jeune homme est un surdoué. Ce qui n’échappe pas à Gyoshin (Takashi Tsukamoto), pêcheur professionnel en pleine crise existentielle, enthousiasmé par le naturel de Sanpei au point de lui apprendre quelques techniques complémentaires. L’arrivée d’Aiko (Yu Kashii), grande sœur du héros partie pour Tokyo après le décès de leur père, va perturber le bonheur de Gyoshin et des Mihira, puisque la jeune femme au fort tempérament est bien décidée à repartir à la ville avec Sanpei, pour lui donner une éducation digne de ce nom, loin des cours d’eau et des poissons. Ippei joue alors son va-tout : avec Sanpei et Gyoshin, ils vont partir pour la mythique vallée de Yonaki, en quête de son « monstre » - un omble d’un mètre cinquante de long. S’ils parviennent à l’attraper, Sanpei pourra rester à la campagne ; le cas échéant, il repartira avec Aiko…
C’est dans la foulée du succès international de Departures que le polymorphe Yôjirô Takita s’attaque à l’adaptation du manga de Takao Yaguchi, qui a étalé de 1973 à 1984 la passion et le talent du jeune Sanpei Mihira pour la pêche. Passion que, personnellement, je n’ai jamais partagée « in real life » - en dépit d’avoir gaspillé un nombre d’heures aberrant à cette activité dans plusieurs univers vidéoludiques (merci World of Warcraft) ; dont on comprend toutefois aisément l’attrait nippon : une activité au plus près d’une nature splendide, une connaissance encyclopédique et un panel de stratégies à déployer, une customisation illimitée et, surtout, des lancers dont la maîtrise s’accordent si bien avec la culture du geste. Pour tout vous dire, c’est a posteriori que je réfléchis à tout cela, car c’est pour la présence de la trop rare Yu Kashii (Linda Linda Linda, Lorelei), surannée beauté symétrique, que j’ai décidé de m’abandonner à la vision de Sanpei the Fisher Boy.
Avec son prologue en forme de compétition, sympathique démonstration de supériorité, Sanpei the Fisher Boy s’inscrit dans une tradition du film de sport marquée par des héros dont l’insolence est proportionnelle au talent, plutôt que dans le schéma très occidental de l’underdog, tout en s’attelant à un esprit bienveillant qui n’est pas sans rappeler celui qui se dégage du Ping Pong de Fumihiko Sori. Une approche dans laquelle on grandit non pas en gagnant, mais en rencontrant meilleur que soit ; non pas en écrasant l’adversaire, mais en apprenant quelque chose de lui ou en lui transmettant un savoir. N’en déplaise aux âmes tortueuses, Sanpei the Fisher Boy est donc exempt de forces négatives, versé dans un optimisme à même de donner de l’urticaire aux nihilistes anti-happy end.
Délaissant l’habituelle gradation de compétitions et affrontements, lieux de signature poses et autres coups spéciaux dans tant d’œuvres du genre, Yôjirô Takita refuse même à son film la moindre adversité humaine, se recentrant exclusivement sur le rapport de ses héros à la nature. Je dis bien ses héros, au pluriel, car Aiko joue à mes yeux (biaisés, j’en conviens) un rôle plus important encore que son frère dans la narration du film. Citadine meurtrie par la disparition de son père, elle doit apprendre à pardonner la nature, renouer avec l’émerveillement et le respect des traditions. Cela peut paraître pataud et pénible, pourtant Takita s’en sort avec un certain talent, faisant de son film une œuvre universelle, sans cible d’âge particulière et jamais exclusive. Si, comme il se doit, Kenta Suga est un poil exaspérant, Tsunehiko Watase et Takashi Tsukamoto incarnent un amusant conflit de générations et de cultures, tandis que Yu Kashii l’emporte avec le rayonnement de son abandon à la beauté de toutes choses. Lorsque ses défenses s’écroulent face à la quiétude de la vallée de Yonaki et la réalité de son mythe, impossible de ne pas se laisser contaminer par son sourire.
On pourrait bien sûr critiquer, fines bouches, les poissons et fils de pêche parfois trop synthétiques, ou renier la façon qu’a Sanpei the Fisher Boy de flirter avec la mièvrerie et la bienséance. Mais, même pour quelqu’un, comme moi, qui aime tant se rouler dans la fange, l’exploitation et le sordide, il est plus sensé de se laisser porter par ce film charmant, fort de son enthousiasme, de la splendeur du Japon rural et de son héroïne, autant que de cette évidence paradoxale : « fishing is just a silly waste of time ». Une réalité gentiment ironique, qui, plutôt que de la dénigrer, donne à l’activité phare du film, pratiquée avec respect et abandon, tout son intérêt.
Pour une fois, c’est du côté de la Thaïlande qu’il faut se tourner pour trouver Sanpei the Fisher Boy en DVD sous-titré anglais, puisque l’édition nippone, elle, est toute nue.







