Save the Green Planet
// ATTENTION, SPOILERS !
Quand un apiculteur sous antidépresseurs (Byeong-gu) et sa compagne (Soo-ni), une petite femme ronde équilibriste de cirque, tentent de kidnapper un riche industriel (Kang Man-sik) pour lui faire avouer qu’il est un extra-terrestre d’Andromède en mission pour détruire la planète d’ici la prochaine éclipse lunaire (ayant lieu dans moins de 7 jours), on se à dit qu’on est en pleine comédie loufoque tirant vers la série B. D’autant que cette paire d’illuminés est accoutrée de cirés noirs et de casques de spéléos bricolés, tous droits empruntés au Troglodistes de Délicatessen. C’est sans compter sur le machiavélisme et l’inventivité du réalisateur Jun-hwan Jeon dont c’est le premier long-métrage.
D’une maîtrise impressionnante pour un premier film, le scénario et la mise en scène de Save the Green Planet oeuvrent de concert pour nous décontenancer de la première à la dernière scène. Le mélange des genres et l’inversion des codes sont à la base de ce film étrange, dont on sort perplexe et dérouté. Naviguant allègrement du burlesque au thriller d’anticipation en passant par le film d’horreur et le mélodrame, ce choix risqué pour un réalisateur qui aurait pu se contenter du canevas standardisé d’un erzatz hollywoodien, garde toute sa cohérence malgré la coexistence des genres. C’est là tout le génie de ce film dont le propos est bien ailleurs.
Sitôt chloroformé par la brave Soo-ni, rendue intrépide par son amour aveugle, le chef d’entreprise est transporté dans le coffre de la voiture, puis amené dans le sous-sol de la maison de Byeong-gu. Alors que l’empathie avec le héros semble acquise, on s’aperçoit progressivement de son instabilité et de sa paranoïa aiguë lorsqu’il commence à torturer l’industriel, attaché sur des toilettes de fortune, dans le but de lui faire avouer le "code génétique royal" qui, pense-t-il, lui permettra de sauver la planète. Le sous-sol dans lequel va se dérouler en huis-clos une lutte pour la survie d’une rare intensité, objet de la seconde partie du film, est digne du repère de Buffalo Bill dans Le silence des agneaux. Peuplé de mannequins qu’il fabrique et fourmillant de documentation grossière sur les extra-terrestres, de films de SF de série Z, et de la pire littérature du genre, on commence progressivement à entrer dans le monde torturé du héros.
Le film prends aussi à ce moment là, le chemin de l’enquête policière lorsque que l’on apprend la disparition de Kang Man-sik qui est aussi un proche du chef de la police, qui lance alors ses troupes à sa recherche. Un ex-inspecteur sur le retour, au flair aiguisé, entre en scène et se lance sur la piste du kidnappeur, flanqué d’un jeune "bleu" sortant de l’université. Le vieux briscard finit par identifier le repère du kidnappeur mais son imprudence lui sera fatale. Grâce au montage alterné et a quelques effets sonores judicieux, le réalisateur maintient la tension constante entre Byeong-gu qui manque à tout moment de se faire découvrir, et Kang Man-sik qui use de toute sa ruse et sa détermination pour tenter de s’échapper. La lutte entre les deux ira alors crescendo, ainsi que les tortures physiques infligées (mais aussi mentales, celles du spectateur), révélant la vraie nature de Byeong-gu et les raisons de ses tourments ; l’ensemble atteignant son paroxysme avec la mort violente et cruelle du héros tué par Kang Man-sik, à qui le spectateur venait à peine d’accorder sa sympathie. Le final, que ne renierait pas Takashi Miike version Dead or Alive ou le Terry Gilliam de Bandits Bandits est tout simplement ahurissant.
L’un des sommets du film intervient lorsque Kang Man-sik, s’apercevant de la vraie nature de Byeong-gu, imagine une ruse pour le faire douter et se lance dans une relecture révisionniste hilarante de l’histoire de l’espèce humaine, faite au travers des notes de recherches du héros, qui s’animent littéralement. Sur fond d’hommage appuyé à 2001 l’Odyssée de l’Espace, l’on y parle d’expériences génétique sur les dinosaures et d’ADN extra-terrestre. La conviction des acteurs étant telle qu’à aucun moment on ne paraît douter de la véracité de leurs propos. Shin Ha-Gyun qui jouait le rôle du sourd-muet dans Sympathy For Mr. Vengeance de Park Chan-Wook est impressionnant d’aisance et de vérité, passant aisément du personnage burlesque du début au héros tragique de la fin du film.
Si Jun-hwan Jeon joue ainsi avec les codes et les renversements de situation, ce n’est pas par pure fantaisie. Son propos qui se révèle à la fin du film est d’une autre nature. Les multiples renversements nous apprennent ici à ne pas croire naïvement en la bonté humaine, le mythe du bon sauvage étant mis à rude épreuve. Sous son apparente mission humanitaire idéaliste, le jeune Byeong-gu est capable des pires horreurs, sous prétexte que Kang Man-sik est un extra-terrestre et appartient donc à une autre race. La métaphore fasciste est ici évidente, d’autant qu’il décide de raser la tête de l’industriel sous prétexte que les extra-terrestres communiquent par les cheveux. La critique sociale n’est pas non plus absente, et ce n’est pas un hasard si Kang Man-sik est patron d’un conglomérat chimique. On connaît de réputation l’activisme ouvrier Coréen et ses protestation anti-fascistes, qui s’expriment souvent en masse et de façon violente. La destruction de l’espèce humaine, qui ne mérite pas son sauveur, est décidée à la fin par le Patron/Extra-Terrestre/Dieu, crucifié au cours du film (la métaphore biblique est totale), nous laissant face à un grand vide matérialisé par un poste de télévision flottant dans l’espace et repassant les souvenirs du temps de l’innocence du héros.
Bien que le film fut un échec public, gageons que Save the Green Planet trônera en bonne place au rayon culte des cinémathèques.
Save the Green Planet est disponible en DVD coréen, dans une édition double riche en suppléments.


