Shin Kankin Toubo
Dans une chaufferie anonyme que l’on devine en sous-sol d’un immeuble, une jeune femme est menottée à la tuyauterie sous l’attention d’une bien étrange figure, rembourrée dans un costume de sumotori, coiffée d’un masque surmonté d’un masque à gaz. Ce bourreau improbable dont la voix perce, dédoublée en grave et en aigus, au travers d’un modificateur, mime des mouvements de sumo en pratiquant des attouchements sur la captive. La victime est la fille de Daisuke, président d’une compagnie nippone, trop occupé à réussir une fusion et à coucher avec sa secrétaire, pour accorder de l’importance à la disparition de sa progéniture, dont il est sans nouvelles depuis la veille au soir. Lorsqu’il reçoit un coup de fil du ravisseur et que celui-ci menace de tuer sa fille s’il mène la fusion à bien, il prend conscience de la gravité de la situation. Pendant ce temps là dans l’obscurité, une relation contre nature s’installe entre la captive et son grotesque bourreau...
C’est dès le générique de Shin Kankin Toubo que Daisuke Goto (Zero Woman, Metropolitan Police Branch 82) dénude la frivole Sakurano, victime consentante d’un sombre tableau de frustration amoureuse comme seule en recèle la conscience cinématographique japonaise. Les intentions du réalisateur, de livrer un érotisme pervers, s’incarnent d’emblée dans cette exploration autant que dans la figure du ravisseur, Teletubby dégénérescent et asexué (sa voix modifié superpose féminité et masculinité) qui jauge les atouts mammaires de son otage, se joue de sa féminité au travers de pantsu savamment exposées, la force à boire sa propre urine pour s’hydrater. Alors que les abus commencent à déboucher sur un plaisir inattendu de la victime, et que la relation brutale partagée par Daisuke et sa secrétaire (la pornstar Asami, que l’on a déjà retrouvée dans un cinéma presque mainstream à l’occasion de Sukeban Boy et autre The Machine Girl) occupe le reste de la narration, on serait tenter de taxer Goto de misogyne, et de ranger Shin Kankin Toubo dans une longue tradition de films d’exploitations simplistes à la chair triste.
Pourtant le schéma intimiste mis en place par le réalisateur possède une étrange aura, qui doit beaucoup à l’univers créé par le kidnappeur évidemment, mais naît aussi de réminiscences travaillées du décès de la femme de Daisuke. Surréalistes, ces scènes nous montrent le chef d’entreprise, un bébé dans les bras, ramasser délicatement des restes humains incinérés pour les placer dans une urne, et construisent de façon presque onirique l’inadéquation émotionnelle de cet homme, force motrice de la perversion de Shin Kankin Toubo. Daisuke en effet, a laissé son cœur auprès de sa femme défunte, et c’est son incapacité à aimer qui que ce soit d’autre – pas même sa fille – qui déteint sur celles qui partagent son intimité, troublant leur capacité de perception, d’interprétation et de jouissance du sentiment amoureux.
Je résiste ici à l’envie de trop vous dévoiler le twist du film, habilement amené, qui invalide l’accusation de misogynie tout en renforçant – c’est que le v-cinéma érotique est un art, vous savez - le côté insolemment fétichiste du métrage. Dans cette révélation d’une jalousie destructrice autant que fondatrice, Daisuke Goto trouve matière à créer une véritable relation humaine, toute de substitution symbolique partagée (une ceinture à vocation... masculine, substitut d’amant et de père, unit les deux femmes), de douleur nourrie, et incarnée en sexualité légèrement sadomasochiste, qui transcende aisément le motif de simple voyeurisme décalé, soupçonné au départ. Sakurano et Asami, que l’on devine habituées à pire (ou mieux, c’est selon), s’abandonnent à l’écran dans ce fantasme obscur, avec une timidité travestie en obscénité des plus convaincantes, en dépit de bruitages comme souvent trop exacerbés. C’est certainement là le côté le plus étonnant de cet insolite Shin Kankin Toubo : c’est dans son exubérance sexuelle finalement, ainsi que l’illustre le simulacre de fellation plein écran qui clôture sèchement le film, que ce sombre poème amoureux exprime une justesse émotionnelle inattendue.
Shin Kankin Toubo est disponible en DVD japonais, sans sous-titres, ainsi qu’en DVD HK, doté de sous-titres anglais parfaitement incompréhensibles, et d’une image non anamorphique d’un autre temps.






