Shooters
« Comment pourrais-je manger ce sashimi, s’il n’y a pas de poisson ici ? »
Une chose est certaine : quoique l’on pense du dernier film de Derek Yee, successeur du très bon Shinjuku Incident, il enterre allègrement Yesterday et autre Psychedelic Cop en matière de métaphores piscicoles. Faux petit frère du Double Tap de Bruce Law, Triple Tap est tout autant un faux polar gravitant autour de quelques tireurs d’élite, engoncés dans une circonvolution philosophique insaisissable et, pour tout vous dire, passablement ennuyeuse.
Alors qu’il revient d’un concours de tir, au cours duquel il a battu le sans-faute du détective Jerry Chong (Daniel Wu) grâce à un triple tap – c’est-à-dire trois cartons au même endroit – le trader wonderboy Ken Kwan (Louis Koo) est témoin du braquage d’un fourgon transportant Lam Suet et quelques bons au porteur, en passe de dégénérer. Non content d’arborer un bronzage à faire pâlir le Robert Downey Jr. de Tonnerre sous les tropiques, Kwan est de plus un citoyen hors pair ; aussi s’arme-t-il de son flingue de compétition pour abattre les malfrats, et tenter de sauver la vie d’un flic. Seul l’un des braqueurs parvient à fuir son calibre ; ce qui n’empêche Kwan d’être arrêté par Chong, qui doute de la nature de son intervention...
Rarement un film se sera-t-il autant éloigné de son potentiel que ce Shooters, dans lequel les salves sont exclusivement verbales ou presque. Passée une introduction qui dévoile tout le talent de Chong et Kwan en matière de tir, les flingues sont rangés au placard au profit d’une confrontation laborieuse et redondante. Au cours du procès de Kwan, l’avocat de l’accusation tente bien de déceler chez l’insupportable trader une évolution psychotique similaire à celle qui avait frappé Leslie Cheung dans Double Tap – à savoir l’appétit des cibles humaines plutôt que de carton -, mais Derek Yee ne souhaite aucunement singer ce prédécesseur qu’il avait en son temps produit ; ce qui peut se comprendre. Le réalisateur préfère s’appuyer sur la philosophie impénétrable d’Alex Fong, qui reprend dix ans plus tard le personnage qu’il incarnait face à Leslie, pour expliciter la réalité d’un triple tap : la réussite d’une telle prouesse n’est pas dans les aptitudes, mais dans la tête. Shooters se passe donc tout entier dans la tête - de qui par contre, je ne sais pas trop.
Ce qui, franchement, aurait pu être passionnant, si Derek Yee s’était orienté vers un Ghost Dog du polar HK. Shooters préfère toutefois s’empêtrer dans des dialogues incompréhensibles et sentencieux (« de nos jours, tout est empoisonné »), qui, d’une certaine façon, collent bien aux problématiques, financières et autres, qui travaillent Kwan, inutilement tiraillé entre l’amour d’une infirmière gentillette (Charlene Choi, qui ne porte jamais un flingue comme sur l’affiche ci-contre, mais se contente de moues passives) et de sa boss possessive (Li Bing-Bing). La bourse, la philosophie, les femmes : perso, je n’y comprends rien.
A contrario, la trame globale de Shooters elle, est d’autant plus compréhensible que l’affaire est expliquée assez rapidement. Du coup, on peine à saisir pourquoi Derek Yee s’étire sans cesse, offre un intermède surréaliste avec Alex Fong qui se projette dans la peau du boursicoteur tueur, et, surtout, révise in fine la scène d’ouverture de façon scandaleuse, twist inutile qui n’affirme rien d’autre que la malhonnêteté délirante d’une entreprise vaine, dénuée de toute tension autre que notre exaspération. Pourtant, Louis Koo lui-même demande à Daniel Wu, au début du film, s’il ne pourrait pas être plus direct ; un conseil que Derek Yee aurait mieux fait d’appliquer à l’ensemble de Shooters, plutôt que tourner ainsi autour d’un pot vide. Reste quelques allégories hilarantes, l’absurde vibration de l’image incarnant la colère de Louis Koo, un cameo de Michael SDU Wong, et une photo incriminante de Lam Suet, tout jeune, pas piquée des hannetons.
Shooters sort en France chez Wild Side le 30 mars prochain, en DVD et Blu-ray. Au moins, l’image et le son du DVD (je n’ai pas vu le Blu-ray) sont nickels.
Heureusement que l’éditeur, d’ordinaire plus exigeant sur le plan éditorial, se rattrape dans la foulée avec Dream Home, et un peu plus tard avec la sorties salles de Detective Dee.
Remerciements à Lise Degand, Benjamin Gaessler et Wild Side.




