Shôrinji kenpô
Le Japon a beau avoir accepté la reddition sans conditions qui a clôturé l’implication du pays dans la Seconde Guerre Mondiale, l’ex-espion So Doshin (Sonny Chiba) lui, refuse de s’avouer vaincu. Dans les bas-fonds de l’Osaka de l’après-guerre, il protège femmes et enfants, pauvres et faibles, de l’occupant américain mais aussi des japonais qui profitent de l’instabilité du pays pour s’enrichir, dans la violence, l’illégalité et le mépris de l’honneur si cher au Pays du Soleil Levant. Condamné à fuir après une altercation avec la police militaire américaine (les "MP"), So fonde une école de Karaté, où il enseigne l’art ancestral de Shaolin à quiconque refuse de céder aux autorités corrompues et aux yakuza...
Shôrinji kenpô ne serait certainement pas aussi déroutant si son réalisateur était autre que Norifumi Suzuki, esthète délictueux à qui nous devons Le couvent de la bête sacrée. Alors que l’œuvre blasphématoire du metteur en scène était transcendée par un art pictural propre justement à adoucir intelligemment ses excès, il est difficile de retrouver ici le même soin rigoureux apporté à la réalisation.
Oeuvrant toujours dans l’exploitation - et ce dans le cadre toujours plus pertinent du traitement d’une histoire vraie - Suzuki ne cherche plus à libérer son film du carcan du film de genre mais au contraire à l’y contraindre avec force, et parfois même vulgarité. Le cadre est ainsi beaucoup moins soigné que dans le périple de la belle Yumi Takigawa, au profit d’effets de réalisation et de montage tape-à-l’œil, certes modernes (ralentis, interruptions de la bande-son) mais généralement mal maîtrisés.
La réalisation elle-même, dans son rythme et ses jeux de cadrages, apparaît comme mal adaptée aux exploits martiaux de Sonny Chiba, et les plans s’enchaînent pour la plupart sans véritable logique de mise en scène ou de mouvement. Suzuki à mon avis, est plus à l’aise dans les instantanés travaillés, telle la scène où So apprend la reddition du Japon, que dans le soulignement d’un art martial que, visiblement, il ne connaît pas réellement. Du coup, les combats de Shôrinji kenpô bien qu’impressionnants, n’ont pas d’impact martial mais uniquement figuratif et... brutal. Bras cassés, épaules démises, membres arrachés et même ce sexe coupé puis jeté en pâture à des chiens de passage... A l’image du message peu subtil, véhiculé par le film comme par So (la violence comme seule force de justice), Shôrinji kenpô accumule les effets explicites.
Reste que dans sa véhémence, le biopic de Norifumi Suzuki est aussi effrayant qu’il peut être, plus ou moins volontairement, divertissant. L’attitude de So envers ses amis et/ou disciples est caricaturale (tous comme les personnages eux-mêmes, au premier rang desquels les détestables yakuza), et l’enrichissement passe ici forcément par l’affrontement, moral et physique, des autres mais avant tout de soi-même. Le message est évident : si ce Japon à l’honneur entaché (tel ce disciple avec un bras tranché) veut se reconstruire, il doit le faire de l’intérieur, en luttant contre la pègre et la corruption qui le gangrènent.
On peut ensuite discuter des méthodes de So, pour qui si la force sans amour n’est que violence, il ne peut y avoir de justice sans force. Peut-être est-ce cet amour justement qui manque à tous les personnages de Shôrinji kenpô pour que le film soit à la fois consistant et crédible. En l’état et à cause notamment de ses lacunes de montage et de rythme narratif, ne restent que son agressivité et son identité d’oeuvre d’exploitation primaire. Deux traits qui en font tout au plus une curiosité, virulente et excessive et donc c’est évident, à même de devenir culte pour les fans de Sonny Chiba. A défaut d’être réussie...
Diffusé dans le cadre de l’hommage à Sonny Chiba de la onzième édition de l’Etrange Festival, Shôrinji kenpô est disponible en DVD Zone 1 NTSC dans des packs "value" de quatre ou dix films, consacrés à Sonny Chiba. La qualité de l’image de ces packs est très variable, mais ils constituent un bon moyen de rattrapage.

