Skyfall
Joyeux anniversaire, Mr. Bond ! Pour les 50 ans de la franchise au cinéma, et après un épisode bâclé (Quantum of Solace), l’espion britannique revient dans une forme (Casino) royale… Oubliée, la frustration née de quatre années sans 007. Le black-out lié aux démêlés de la MGM a visiblement été mis à profit pour peaufiner un scénario qui faisait cruellement défaut à l’opus précédent, et conditionne pour moi la réussite de ce type de production (merci Fleming !). La présence derrière la caméra de Sam Mendes laissait également augurer un équilibre plus salutaire entre action et temporisation, développement des personnages et explosion de testostérone. Si le bondophile pur et dur en sortira surpris et un brin déboussolé, force est de reconnaître que le pari est réussi.
Envoyé pour récupérer un disque dur volé, James Bond échoue et la mission tourne mal. Devra-t-il se frotter à un mégalomane bien décidé à mettre le monde à ses pieds, par pure ambition personnelle ou appât du gain ? Tiens, non, pas cette fois…
On pensait le cahier des charges Bond gravé dans le marbre, mais Mendes, probablement avec l’appui de Craig, nous en livre une lecture pleine d’audace, réinvention malicieuse d’un personnage et de son univers. Sous sa direction, le film examine plus profondément les protagonistes et leurs motivations, y compris celles de Bond lui-même - ce qui, en bon soldat qu’il semblait être, est une nouveauté. Le scénario, avec ses ramifications dans le passé, et la mission, moins géopolitique que personnelle, sont un terrain de jeu privilégié pour le réalisateur et son acteur, ce dernier n’ayant jamais caché son intérêt pour une exploration différente du rôle de l’espion anglais. Qui est James Bond ? Qu’est-ce qu’ « un James Bond » ? Mendes fait siennes ces questions, qui finalement n’ont véritablement jamais été posées en cinquante ans de cinéma. Visiblement très libre, il pousse la fameuse « formule » jusque dans ses retranchements, recentre son film sur Bond et quelques caractères habituellement secondaires, refonde les bases d’une mythologie certes connue, mais dont on n’avait jamais questionné l’origine. A la façon d’un Christopher Nolan dont il revendique d’ailleurs l’influence, Mendes place 007 dans le monde réel et interroge, au travers de son héros, sur la pertinence de la plus longue série de l’histoire du cinéma. Y-a-t-il encore une place pour les espions dans le monde d’aujourd’hui ? Pour Bond au cinéma ?
L’équipe de Skyfall a suffisamment d’atouts pour nous en persuader. La réalisation de Sam Mendes est impeccable, tout en jeu de contrastes, ombre et lumière. La photographie et la composition des plans (le labyrinthe de verre, l’arrivée au casino de Macao) sont somptueuses et tirent parti d’arrière-plans pas particulièrement exotiques (Londres, l’Ecosse) mais toujours impressionnants. Si les paysages et leur mise en valeur sont un ingrédient immuable de la recette, leur utilisation comme personnage de l’histoire est une nouveauté. Les scènes d’action bénéficient également d’une caméra et d’un montage fluide, à des années lumière du découpage clippé et difficilement lisible de Quantum of Solace. C’est d’autant plus appréciable qu’une fois encore la quasi-totalité des cascades est réalisée sans trucage numérique, et cela se voit. Les images de synthèses sont superflues, ratées mais heureusement rares, rien ne remplaçant l’essence, la dynamite et la destruction complète de gigantesques décors… Quant à la bande son, sans David Arnold et avec une utilisation moins intensive du fameux thème, elle est à l’image du film, moins tonitruante mais également moins répétitive, plus en adéquation avec les images et les atmosphères, favorisant la participation du spectateur.
Un spectateur d’autant plus impliqué que Bond et ses alliés le sont, par le biais d’un scénario plutôt malin qui fouille dans le passé, forcément trouble, de l’agent secret et de ses alliés. Riche en rebondissements, l’histoire garde une cohérence et un pied dans la réalité qui a souvent fait défaut. A l’inverse, on retrouve avec bonheur un humour inédit depuis l’ère Daniel Craig, les petites phrases et les bons mots font mouche, servis par l’acteur avec la bonne dose d’impassibilité et de cynisme. Toujours aussi à l’aise dans le rôle, aussi bien dans les scènes d’action que dans celles plus chargées en émotion, il équilibre parfaitement la performance énorme de Javier Bardem. Le cabotinage malsain de ce dernier aurait pu lui voler le film, mais les quelques scènes partagées avec Craig, bien servi là encore par le script, sont particulièrement jouissives. Seuls les rôles féminins apparaissent en retrait, à l’exception notable de Dame Judi Dench, qui profite d’un rôle étoffé pour nous montrer toute l’étendue de son talent.
Skyfall, doté d’un solide scénario et d’un réalisateur inspiré, est un excellent film, et un Bond surprenant mais remarquable. Si l’on oublie Quantum of Solace, mal ficelé, il conclut parfaitement un « reboot » qui semblait pour le moins téméraire. Astucieusement, presque innocemment, il replace la série à l’orée de la période Sean Connery, savant dosage de brutalité et d’humour, de réalisme et de fantaisie. Aux producteurs et à Daniel Craig de décider maintenant ce qu’ils souhaitent en faire. Skyfall passe le relais, et rend optimiste. De l’audace, messieurs, de l’audace…
Skyfall est actuellement sur les écrans français.






