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Corée du Sud | Hors-Asie | Etrange Festival 2013

Snowpiercer

aka 설국열차 - Le Transperceneige | Corée du Sud / USA / France | 2013 | Un film de Bong Joon-Ho | Avec Chris Evans, Tilda Swinton, Jamie Bell, Song Kang-Ho

Après le polar (Memories of Murder) et l’horreur (The Host), Bong Joon-Ho s’essaie au film d’anticipation. Pour ce touche-à-tout, le mélange des genres est une identité, dans sa filmographie mais surtout au sein même de ses œuvres. C’est dire si ce Transperceneige, rencontre improbable entre le réalisateur coréen, une bande dessinée française du 20ème siècle et un casting international, était attendu. Même s’il faut un peu de temps pour apprécier réellement la richesse de l’œuvre, il ne déçoit pas. Bong Joon-Ho nous offre un film singulier, une vraie belle séance de cinéma dont on ressort tout étourdi, après une petite claque. Le mal des transports…

2031, sur la Terre. Au cœur d’un hiver glacial et éternel, un train transporte les derniers survivants de la planète sans jamais s’arrêter, sous peine de mort instantanée. Les passagers de queue, clandestins et asservis, n’ont qu’une idée en tête : remonter vers les premières classes et la fantastique locomotive. Curtis décide de prendre la tête de la révolte.

Si le contexte climato-convaincu et de révolte sociale semble plus que jamais d’actualité, force est de constater que le long-métrage reste très proche de la bande dessinée d’origine, pourtant trentenaire. Cette fidélité, tant scénaristique que graphique, est probablement la plus grande force du film. Bong Joon-Ho fait sienne cette expérience sociologique et ethnologique à la base de l’œuvre des français Lob et Rochette. Le transperceneige, pyramide sociale roulant à l’horizontale, est un véritable condensé de la société humaine moderne. Un réalisateur, qui plus est volontaire face à la complexité posée par le cadrage d’un huis-clos en mouvement, peut-il rêver mieux ? Pour illustrer son propos, il fait du train un personnage central, représentant l’humanité dans sa globalité, devant laquelle chaque protagoniste s’efface, en le mentionnant constamment comme une entité vivante. A la fois pessimiste - le libre arbitre n’existe plus - et plein d’espoir - n’est-il pas plus efficace de prendre les décisions en commun ? Dans sa conception graphique, Snowpiercer emprunte également beaucoup à son prédécesseur illustré. Si le train s’accorde parfaitement aux bulles dessinées, qui finalement s’accrochent les unes aux autres pour former un tout, le film enchaîne les plateaux à la manière d’un jeu vidéo. L’histoire progresse ainsi à la fois dans le temps et dans l’espace, comme toute bande dessinée. La caméra proche de l’homme et le cadrage sur les personnages renforcent cette sensation de « bulle », de même que les arrêts sur image ou les ralentis des scènes d’action.

Si l’adaptation est si proche du modèle original, Bong Joon-Ho n’a pas renoncé à y mettre sa patte, ce serait mal connaître le bonhomme et sa capacité à surprendre via un mélange de genres qui passe d’autant mieux dans un film d’anticipation. Le réalisateur coréen excelle à créer un environnement cinématographique oppressant et claustrophobe, qu’il s’amuse à désamorcer par ses fameuses touches de burlesque, parfois même au sein d’une même scène. Ce cocktail d’ambiances se nourrit des univers successifs qui défilent au fur et à mesure de la traversée des wagons du train. Tour à tour violents, poétiques, décadents, merveilleux et crasseux, ils partagent pourtant une beauté plastique rare, par leurs décors, costumes et soucis du détail. Si le multiculturalisme assumé du film (dans son casting, son équipe technique et la genèse du scénario) n’est évidemment pas étranger à cette débauche visuelle et aux multiples allégories de la condition humaine, Bong Joon-Ho parvient à maintenir une cohérence d’ensemble, aidé en cela par des acteurs convaincants (Tilda Swinton, mémorable) et un travail sur la lumière et les couleurs plutôt futé. En remontant le train, les héros opprimés passent des ténèbres à la lumière, le spectateur – très graduellement – aussi.

Le scénario n’est pourtant pas dénué d’incohérences, mais la science-fiction demande un saut de foi et celui-ci n’est pas plus long qu’un autre, à condition d’être prêt à jouer le jeu. D’aucuns trouveront les symboles trop voyants, les personnages trop stéréotypés. Mais n’est-ce pas compréhensible, dans un microcosme de quelques centaines de personnes censé représenter un monde qui a tendance à l’être de plus en plus ? Personnellement plus dérangeantes, certaines influences trop appuyées (Cube, Matrix, Blade Runner) sapent par certains moments le propos et la puissance évocatrice du film. On regrettera également l’absence d’équilibrage des forces (pourtant thème principal du film comme stabilisateur d’une société) dans le jeu des acteurs, entre « gentils » trop lisses et « méchants » plutôt excellents. Enfin, économe en dialogues comme peut l’être une bande dessinée, le film perd en force lors d’un final philosophique bien trop verbeux.

En dépit de ces quelques faiblesses, Snowpiercer est un grand film, de ceux qui travaillent après la séance, qui restent dans la tête et poussent à se demander ce que l’on a bien pu vivre pendant deux heures. A l’image de son sujet, sorte d’expérience sociologique avec des humains enfermés comme des hamsters, le long-métrage a définitivement un caractère expérimental, avec son lot d’innovations et - c’est Bong Joon-Ho - d’excès. C’est pourtant si manifestement travaillé qu’on lui pardonnera bien volontiers et lui accordera une deuxième vision, que le film encourage. Cinématographiquement, ce train se révèle finalement être… un ovni.

Snowpiercer a été présenté en avant-première à l’Etrange Festival en présence du réalisateur et des auteurs de la bande dessinée. Sortie prévue en salle le 30 Octobre 2013.
Remerciements à Xavier Fayet.

- Article paru le samedi 21 septembre 2013

signé David Decloux

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