Sonatine
Une guerre de feu d’artifice, la nuit. Des yakuza en planque sur une plage se livrent une bataille infantile. Murakawa (Takeshi Kitano) sort son revolver et tire sur ses amis. Ils ont peur, mais le pistolet ne tue pas.
On a souvent décrit Sonatine comme une retombée en enfance, comme si la plage révélait l’âme d’enfant des mafieux en fuite. Mais, à bien y regarder, cette immaturité est constante tout au long du film. L’univers mafieux décrit par Kitano rappelle des vacances chez des grands-parents stricts : le boss pourrait dire à ses employés « si tu es sage tu auras un goûter ». L’obéissance crée le quotidien et passe forcément par la violence : Murakawa, après un racket, retourne au Q-G, s’assoit sur le canapé jusqu’à ce qu’un autre quidam lui soit désigné. Cette violence n’est ni spectaculaire ni émotionnelle, elle est juste présente, jusqu’à en devenir ridicule. Une scène voit un mauvais payeur attaché à une grue au dessus d’un canal. Les yakuza se demandent combien de temps il peut rester sous l’eau. On l’immerge et personne ne regarde sa montre. L’homme meurt noyé, on avait mal jaugé, pas grave.
La seule chose de grave c’est le manque de respect à l’ainé, aux frères et au boss. Ce dernier a le pouvoir de vie et de mort sur ses hommes, mais surtout de souffrance et de plaisir. Dans une image, on voit une rangée de jeunes filles assises sur des chaises. Aucune ne parle. De l’autre coté de la pièce, une réunion silencieuse, les sous-fifres autour du boss. Celui-ci fume, puis donne l’autorisation de l’imiter. Dès lors tout le monde prend une cigarette. Plus tard, le boss fait un signe et les jeunes femmes viennent vers eux. En bon papa-gâteau, celui-ci contrôle jusqu’aux rapports sexuels de ses hommes. Murakawa, lui, fait figure d’ado rebelle. Il fume sans autorisation, provoque ses « camarades ». Un jeune yakuza aux dents longues ira cafeter, l’ado désobéissant devra fuguer.
Une baraque au bord de la plage constitue la planque idéale, et déjà, les souvenirs des vacances entre potes resurgissent. Alors le changement s’opère quand l’autorité disparait, quand tout disparait. En effet la plage n’est qu’un vide, un temps présent, un lieu sans connotation pour les yakuza. Ils y découvrent le plaisir sans contrepartie, sous la forme innocente des rires. Les collègues deviennent des copains. On s’amuse avec les uns sans détruire les autres. Et quand l’un d’eux demande à Murakawa ce qu’il fait, ce dernier ne répond pas. Bien sûr, il ne fait rien de différent de d’habitude, sauf qu’il n’est plus l’enfant qui joue au bandit, il n’est que l’enfant. Le pistolet ne tue pas, car il n’est plus qu’un jouet.
La mise en scène dépouillée du réalisateur japonais sert totalement son propos : des champs/contrechamps d’une simplicité vibrante, qui accentuent le coté enfantin des personnages tout en les encrant dans un certain réalisme. La fusillade du bar est un bon exemple. Un plan large où l’on voit nos « héros » tirant dans notre direction. Le contrechamp voit les « ennemis » à même échelle. On retourne sur Murakawa et sa bande, les tirs stoppent. Face à eux, plus que des corps. Pas de gore, pas de cris. Juste un résultat, des corps sans vie. Les personnages, Murakawa en tête, ne savent pas s’extérioriser, d’où leur inconscience. Cela amène des scènes de cruauté inouïe (la roulette russe), tout comme des scènes d’amour. Murakawa et la fille qu’il protège s’aiment de la façon dont on s’aime à 8 ans, d’une façon mutique, qui passe par un comportement plutôt que des mots. S’asseoir l’un à coté de l’autre, c’est déjà s’aimer. Mais l’amour à 8 ans est moins fort que l’amitié. Quand Ken, le second de Murakawa, est tué, l’instant fragile est détruit. Le sang a coulé sur la plage, le monde extérieur s’est infiltré. Que faire ? Kitano nous offre un plan unique et magnifique. La plage s’étend jusqu’à l’horizon et Murakawa est seul, minuscule et vulnérable. On ne voit pas son visage mais le vide qui l’entoure en dit plus encore. Retour à la case départ, le pistolet tue de nouveau.
Le film s’ouvre sur une image étrange : un poisson bleu au bout d’un harpon sur un fond rouge et noir. Sorte de carte postale, les couleurs criardes rappellent le monde de l’enfance, et pourtant dès la première image, une goutte de sang se devine.
NDAkatomy : Bien que certaines éditions ne soient plus disponibles - il me semble que le package Sonatine + Jugatsu édité en France par Studio Canal n’existe plus -, vous ne devriez pas avoir trop de mal à vous procurer, chez nous ou ailleurs, Sonatine dans le format pré-HD de votre choix.





