Songyos, Charlie et Sirachuch
Le Pensionnat n’est pas la première collaboration de Songyos Sugmakanan et du jeune Charlie Trairat, pusiqu’ils ont déjà travaillé ensemble sur My Girl, un film plusieurs fois primé en Thaïlande. Sans doute est-ce pour cette raison que Charlie et son ami Sirachuch paraissent si détendus pour leur première venue en France. Tels des enfants, pendant l’interview, ils dessinent, font des grimaces, et ne se rendent pas forcément compte que l’on s’intéresse à eux. Une rencontre très agréable, que l’on ne fait pas souvent, avec un réalisateur doté d’une très grande conscience et maîtrise de son film, et deux professionnels en herbe.
Sancho : Comment avez-vous travaillé pour faire du Pensionnat un film à l’apparence effrayante, alors qu’il ne s’agit pas réellement d’un film d’horreur ?
Songyos Sugmakanan : J’ai essayé de restituer ce qui provoquait de la peur chez moi quand j’étais enfant ; il s’agit de là de ma propre expérience de la peur. Je me suis souvenu de ce que je ressentais quand j’étais pensionnaire, quand j’allais seul aux toilettes au milieu de la nuit ; j’ai tenté d’évoquer les images que j’avais en tête, les sentiments que j’éprouvais dans ces moments là. Je ne sais pas si le film provoque lui-même de la peur, mais il retranscrit la façon dont j’avais peur dans des situations similaires.
Charlie Trairat : Je n’ai pas vraiment de relation avec le sentiment de peur, et je n’avais pas vraiment peur pendant le tournage. J’ai suivi les instructions du réalisateur, j’ai tenté de retranscrire ses indications très précises, de jouer en fonction de ce qu’il me disait.
Sirachuch Chienthaworn : Pour ma part j’ai joué la peur mais je l’ai ressentie aussi... parce que si on la ressent vraiment, cela se voit à l’écran.
L’une des façons dont vous créez pour le spectateur, une ambiance de peur, est d’explorer l’espace à différents niveaux, les moindres recoins du dortoir, à hauteur du regard mais aussi sous les lits...
Songyos Sugmakanan : Je me suis vraiment plongé dans mes souvenirs pour les mettre en scène. Je n’ai donc pas filmé consciemment ces différents niveaux ; je me suis simplement souvenu de l’importance qu’avaient les histoires se passant sous les lits quand j’étais pensionnaire. C’est la même chose pour les recoins dans lesquels nous cachions des revues pornographiques. Tout cela correspond à un espace que les adultes, eux, ne voient pas.
Le travail sur la photographie et plus particulièrement les couleurs, a une très grande importance au cours du film.
Songyos Sugmakanan : C’est intentionnel. Je voulais que les images et les émotions se correspondent à chaque instant. Le sentiment de Chatree, le personnage principal, au moment de son arrivée à l’école, est un sentiment d’abandon, de tristesse, et les couleurs, froides, traduisent cela. Au fur et à mesure qu’il s’habitue à ce nouvel environnement, qu’il se fait des amis, des couleurs chaudes font leur apparition, du rouge, de l’orange. La majorette par exemple, est la première à apparaître en rouge dans le film.
Comme beaucoup de films d’horreur ou d’épouvante, Le Pensionnant commence par une rupture - ici le départ de Chatree pour la pension, qu’il ressent comme une trahison de la part de son père. On découvre par la suite que la trahison du père est de double nature...
Songyos Sugmakanan : L’incompréhension est au cœur du film. Ainsi si la professeur se sent fautive, responsable de la mort de Wichien, c’est parce qu’elle a mal compris, mal interprété les évènements qui l’ont entourée. Wichien lui aussi les a mal interprétés, et il en veut à ses amis de l’avoir laissé mourir dans la piscine. Chatree quant à lui, a mal interprété l’acte de son père, puisqu’il pense que celui-ci l’a envoyé en pension pour avoir la paix. Il a été témoin de son infidélité, et ce serait pour cette raison que son père l’a chassé. Mais la réalité est différente ; les protagonistes ont un angle de vue très restreint, qu’ils apprennent progressivement à élargir. Chatree refuse longtemps de comprendre son père, il refuse de lui parler au téléphone. Mais à terme, ses amitiés notamment l’aident à grandir, et lui permettent de voir les choses différement, de les séparer clairement. Bien qu’il juge que son père a mal agi, il comprend que son arrivée en pension n’a rien à voir avec ça, qu’elle n’est pas de l’ordre du personnel, de l’intime, mais que c’est simplement pour son bien. Le motif de l’incompréhension est l’un des points importants du film.
C’est pour cela que Le Pensionnat est si pertinent dans sa description du passage à l’âge adulte, puisque finalement devenir adulte, c’est en partie admettre que, en tant qu’enfant, on a rarement l’angle de vue nécessaire à la compréhension. Comment avez-vous travaillé avec vos acteurs, des enfants, pour leur faire comprendre cette transition ?
Songyos Sugmakanan : Je n’ai jamais pensé que les enfants avaient à comprendre la croisssance, simplement parce qu’ils ne l’ont pas encore vécue. J’ai juste tenté de décrire le sentiment qui allait servir à leur interprétation. Par exemple pour la scène finale, quand Chatree est dans la voiture et qu’il traverse le pont pour la seconde fois pour rentrer chez lui, son regard est celui d’un enfant qui a grandi, compris, évolué. Pour cette scène, j’ai juste dit à Charlie de se souvenir de son regard lorsqu’il voit la jeune fille qui sert les desserts à la cantine. C’est la même lumière, le même bonheur que je voulais voir. Il fallait que l’on ait l’impression qu’il regarde, à l’extérieur de la voiture, une super jolie fille dont il est amoureux. Si n’y arrivait pas, je mettais vraiment une jolie fille, et le sentiment apparaissait. (rires)
Avez-vous eu l’impression de grandir au cours du tournage, d’acquérir la même compréhension que vos personnages ?
Charlie Trairat : Je n’ai pas vraiment l’impression d’avoir grandi dans ce sens là. Ce sont plutôt les gens qui m’ont dit qu’ils avaient constaté mon évolution en tant qu’acteur, que je jouais mieux, que j’avais l’air plus mûr que dans My Girl. Mais je crois que le travail que j’ai fourni et les bonnes répércutions que j’en ai eues m’ont beaucoup appris, et c’est dans ce sens là que j’ai grandi.
Sirachuch Chienthaworn : J’ai l’impression d’être toujours le même, je m’amuse toujours au jour le jour. Certaines choses ont quand même changé, peut-être que je comprends mieux certaines choses. Mais je crois que nous sommes encore vraiment gamins ! (rires)
Il y a dans le film une scène, fabuleuse, qui résume beaucoup de ses enjeux : celle de la projection de cinéma en plein air. Pendant la majeure partie du film les enfants donnent l’impression de vivre indépendamment les uns des autres, que Chatree notamment est très en retrait, alors que là ils réagissent comme une seule entité.
Songyos Sugmakanan : Cette scène retranscrit encore une expérience personnelle. Lorsque l’on regarde un film, on se met en communion avec l’ensemble de la salle, c’est à la fois une expérience personnelle et une expérience de groupe. Quand j’étais enfant j’ai assisté comme dans le film, à la projection de Mr Vampire en plein air. Et au moment où le vampire allait attraper les jambes d’un protagoniste, moi et mes copains avons tous levé nos jambes en même temps. C’était souvent comme ça à l’époque : un divertissement général, commun. Mais depuis que je suis adulte, cela ne s’est jamais reproduit. J’ai l’impression que les enfants exploitent beaucoup plus l’imaginaire que les adultes. Et comme cette scène exploite justement l’imaginaire des enfants, c’était aussi un bon moyen de montrer la réelle identité de Wichien. Avec des adultes, la scène ne serait pas réaliste : ils ne lèveraient pas leurs jambes, ne se boucheraient pas le nez, ou alors le résultat aurait l’air artificiel, ne serait pas crédible. Avec des enfants, cela donne une réalité à la compréhension de l’état de fantôme de Wichien. Il y a donc deux choses dans cette scène : la capacité des enfants a être absorbés et à croire, et le moyen de prouver l’existence fantômatique de Wichien.
Entretien réalisé à Deauville le 31 mars 2007. Merci à Philippe Lux, ainsi qu’à Emilie Testard pour sa gentillesse et la qualité de sa traduction.

