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Corée du Sud

Soo

aka Su | Corée du Sud | 2007 | Un film de Choi Yang-il (Yoichi Sai) | Avec Ji Jin-hee, Kang Seong-yeon, Moon Seong-keun, Lee Ki-young, Oh Man-seok, Jo Kyung-hwan

Tae-soo est un assassin professionnel, expert en solutions expéditives qui ne recule devant aucun contrat procuré par son mentor et protecteur. Mais il vit depuis toujours avec une profonde blessure intérieure, celle de sa séparation d’avec son frère jumeau Tae-jin, il y a dix-neuf ans, suite à une altercation avec le chef de la pègre locale. Décidé à le revoir, Tae-soo se met à sa recherche et découvre qu’il est policier. Au moment de leurs retrouvailles, ce dernier est assassiné sous ses yeux. Tae-soo, rongé par la culpabilité et le remords, décide alors de se faire passer pour Tae-jin afin de retrouver son meurtrier. Il intègre alors la section homicide de la police locale, mais se rend très vite compte que les assassins de son frère sont prêts à tout pour le supprimer de nouveau.

Clamant fièrement ses origines coréennes, le réalisateur nippon Yoichi Sai (Blood and Bones, Doing Time) se voit pour la première fois aux commandes d’une production made in Chungmuro. Signant sous son patronyme coréen Choi Yang-il, ce dernier tente de se fondre au sein de l’industrie nationale toute entière vouée à maintenir le dynamisme d’un cinéma commercial apparaissant comme seul rempart face à la récente disparition des quotas. Doté de moyens fastueux, eu égard à l’état actuel du cinéma d’action japonais, celui-ci donne ainsi une nouvelle impulsion à une carrière dense et éclectique ayant oscillé entre projets personnels (Jukkai no mosquito, All Under the Moon) et films plus commerciaux (Quill).

Reconnu pour son extrême rigueur, l’ex-assistant d’Oshima sur L’Empire des Sens fait un peu figure de Samouraï au pays du matin calme. A priori peu enclin à s’en tenir au carcan d’un genre ultra codifié, on était en droit d’attendre un certain renouvellement du polar sauce kimchi, en perte de créativité ces derniers temps. L’approche formelle de Choi Yang-il détonne vis à vis des canons d’un City of Violence et ses chorégraphies stylisées à l’estampillage Tarantino, ou encore face au revival seventies d’un Bloody Tie (2006) et sa mise en scène clin d’œil au Fukasaku des Combats sans code d’honneur. En effet, l’auteur opte pour un réalisme cru et brutal hérité de son pesant opus précédent, Blood and Bones, dans lequel le cinéaste revisitait avec un certain maniérisme la destinée tragique d’une génération de ses congénères émigrés sur le sol japonais. La violence intérieure et la souffrance exacerbée que déversait le personnage de Kim Shunpei se retrouvent ici transposées dans le personnage de Tae-soo qui, à l’instar de ce dernier séparé de sa terre natale, subit un autre déchirement, celui de la perte de son frère jumeau.

Cette fracture, forme symbolique récurrente d’un cinéma coréen moderne, préoccupé par le réexamen de son histoire contemporaine et le fantasme d’une réunification à venir, sert de point de départ et de catalyseur à la folle équipée vengeresse de son héros, l’assassin Soo. La brutalité de Blood and Bones passe ici par le filtre des codes du polar avec ses gangsters sans foi ni loi, ses combats au couteau ou à mains nues, ses poursuites en voiture et ses flics corrompus. Loin des gunfights stylisés ayant cours dans le genre, la violence de Soo se veut viscérale et nue. Sans retenue, elle heurte le spectateur de plein fouet, et en devient parfois grotesque, tant le héros subit de coups et se relève inexorablement, comme habité par son désir de vengeance. Cette vengeance au cœur du récit, aveugle autant qu’elle pousse le héros à se dépasser et franchir tous les obstacles, même les plus improbables. Si pour le cinéaste vengeance rime ici avec rédemption, celui-ci ne nage pas pour autant dans les mêmes eaux que Park Chan-wook. Moins abstrait et surtout jamais d’un esthétisme complaisant, Yang-il se borne à mettre en scène avec un classicisme maîtrisé et non sans élégance, un récit qui malheureusement semble bien incapable de décoller.

En effet, le postulat initial pouvait laisser augurer d’une certaine complexité psychologique à travers le processus de la substitution du héros dans les pas de son frère jumeau, et de son infiltration du milieu policier ; néanmoins l’auteur se retrouve dans le schématisme et la caricature, autant dans sa description du héros devenu justicier intrépide, que des hommes de la pègre ; le pourtant talentueux Moon Seong-geun (Green Fish, Hanbando, Puzzle) prêtant son éxubérance et son expressivité charismatique à l’un d’eux. En outre, un manichéisme inutile plombe le film dont le scénario, pourtant le fruit du triumvirat Lee Seung-hwan, Lee Joon-il et Choi Yang-il, s’avère finalement d’une franche banalité, à la progression bien trop linéaire. L’ambivalence des relations entre la femme de Tae-jin et Tae-soo aurait mérité traitement plus fouillé, tout autant que les relations entre Soo et son mentor, dont l’origine survient par un simple flash-back prétexte à une scène amusante façon revival seventies, où le héros adolescent se retrouve dans la peau d’un chanteur de soul. Ajouté à la mise en scène posée, lente, et parfois contemplative - voir la délicate et touchante séquence où Tae-soo couvre de glace son frère gisant mort dans une baignoire - ; rares sont les moments d’enthousiasme dans ce polar noir si ce n’est quelques brillantes séquences d’action comme la scène introductive, ou encore cette rencontre inédite entre Tae-soo et les deux enfants jumeaux aux couteaux, miroirs de sa propre adolescence tourmentée aux cotés de son frère cadet, dans les couloirs sombres de l’entrepôt de la poissonnerie.

Mais la faillite coréenne de Choi Yang-il ne s’explique pas uniquement scénaristiquement. A l’évidence l’auteur a dû composer avec une production soucieuse d’impératifs commerciaux. Les clichés d’usage en sont le témoignage. La froideur et l’absence de sentiments du héros semblent avoir eu peine à toucher un public coréen plus habitué à la chaleur et aux débordements sentimentaux dont font habituellement preuve les héros nationaux.

Mais si Soo a toutes les apparences d’un film coréen fusse-t-il un polar hardboiled, ces mêmes apparences ne tiennent finalement qu’à un casting, des décors et une certaine esthétique. Au-delà, Soo s’avère en réalité adopter les attributs de la figure du héros japonais. En effet, le nihilisme de Soo est des plus radicaux, allant jusqu’à nier ses propres sentiments pour parvenir à son but ultime : sa vengeance rédemptrice. Son silence, sa froideur, et son jeu tout en retenue évoquent davantage le stoïcisme caractéristique d’un héros yakuza que la gouaille chaleureuse des gangsters de Green Fish ou No. 3. De plus son refus de répondre aux sentiments de la femme de son frère est typique de la position du héros nippon pour qui prévaut l’idéal spirituel s’épanouissant dans l’accomplissement de l’acte vengeur, quelle qu’en soit la moralité. Et que dire de l’arme utilisée par Tae-soo : un couteau de chasse ; finalement peu éloigné dans sa forme du Katana traditionnel, amplifié en ce sens par le sabre japonais dont l’un des hommes de main du boss est doté.

Mais si ces éléments auraient pu servir à redéfinir la figure du héros coréen et signer ainsi une autre approche du genre, ils s’avèrent au final maladroitement servis par une mise en scène certes soignée, élégante et parfois majestueuse (voir les travellings circulaires et les contre-plongées vertigineuses), sans oublier la musique de l’inévitable Lee Byeong-woo (The Host), mais dont le contenu reste creux et sans surprise, le récit s’étiolant en longueurs inutiles et la psychologie des personnages tenant dvantage du monolithisme, sans oublier la platitude d’un symbolisme parfois pesant, l’image finale de Soo se reflétant dans l’eau - “soo” signifiant également l’eau en coréen… source et essence de vie).

Souhaitons à l’avenir à Choi Yang-il, dans sa tentative de séduire sa patrie d’origine, d’éviter un nouvel écueil en revenant à un cinéma plus “humain”, quitte à abandonner une part de confort. Certes il est de pus en plus ardu de faire exister un cinéma indépendant différent au milieu des compagnies mastodontes trustant les circuits de distribution et réduisant les initiatives créatives à une poignée d’auteurs pour festivals internationaux ; Kim Ki-duk ayant suffisamment dénoncé la perversion du système lors de sa diatribe “anti-The Host”, mais c’est à ce prix que le cinéma national regagnera un souffle d’inventivité qui lui fait aujourd’hui cruellement défaut.

Soo est disponible en DVD coréen sous-titré anglais.

- Article paru le vendredi 6 juillet 2007

signé Dimitri Ianni

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