Spacked Out
Au sein de la rétrospective Milkyway proposée par l’édition 2012 du Festival des 3 Continents, le cinéma quasi-réaliste de Lawrence Ah Mon (Besieged City) faisait office d’exception. A mille lieues des merveilleuses fantaisies cinégéniques de Throw Down, The Longest Nite et autre Running on Karma, la caméra portée de Spacked Out s’affranchit, la plupart du temps, des abstractions esthétiques chères au cinéma HK, pour observer quatre actrices inconnues incarner autant d’adolescentes dans la réalité sans fard d’une certaine marge sociale urbaine, livrées à elles-mêmes sans le moindre repère.
Banana, Sissy, Bean Curd ("Pâte de Soja" en VF) et Cookie sont donc les héroïnes de ce teen movie qui a plus à voir avec Larry Clark et Royston Tan (15) qu’avec les tartes pré-pubères à l’américaine. Banana passe son temps au téléphone, même en classe, à draguer des inconnus pour organiser son temps libre en coucheries sans lendemain. Bean Curd, crâne rasé et lame facile, essaye de réduire sa féminité à néant pour s’affirmer dans sa relation pseudo-lesbienne avec Sissy. Sissy, dont l’orientation sexuelle parait tout de même très fragile, nourrit ainsi implicitement la hargne très impulsive de son amie, la maintenant sur le fil du rasoir de la jalousie, en même temps qu’elle la canalise d’une certaine affection. Cookie, elle, essaye de garder un lien avec le système scolaire mais n’arrive jamais à l’heure à l’école et, inexorablement punie, se réfugie dans une insolence dommageable. Elle considère en secret et d’un oeil envieux l’éthérée Lai-Yee, sa réussite scolaire et ses aspirations de vie - une notion qui semble échapper à ses trois amies - mais se refuse à l’admettre. Et surtout, Cookie tombe enceinte, d’un sombre crétin vendeur de VCD pirates.
Avec un œil aiguisé pour la photogénie de la ville, ses galeries commerciales, dédales et éclairages artificiels, Lawrence Ah Mon suit ses protagonistes, pendant la majeur partie de Spacked Out, sans teinter son regard du moindre jugement ; comme si son objectif incarnait, volontairement, le regard, détaché, désintéressé ou peut-être simplement incapable de comprendre, de ces adultes absents du métrage - si l’on excepte un photographe "de mode" aux intentions peu louables, et une mère plus paumée encore que sa fille nymphomane. Intelligemment, il s’attache au personnage de Cookie, décèle ses désirs silencieux, pour ne pas sombrer trop vite dans le désespoir. Sa façon de mettre en scène sa relation implicite avec Lai-Yee, à l’opposée du spectre adolescent, à l’insu de Banana, Sissy et Bean-Curd, comme une opportunité imprévue, excroissance autonome du film, confère à Spacked Out une véritable délicatesse.
Cette aspiration indécise à une vie meilleure, permet, chose rare dans le genre, d’emmener ce périple rebelle vers un optimisme aussi bienvenu qu’inattendu. Certes, avant de s’autoriser à sourire et à s’affranchir de relations destructrices, Spacked Out aura regardé ses filles sombrer dans le sordide, délaissé l’objectivité pour une mise en scène hallucinante et horrifique, à la limite du mauvais goût et de l’exploit’ à la Herman Yau, de la maternité problématique de Cookie et du bad trip émotionnel de Bean-Curd, leçons de vie hardcore qui s’accommodent sans vergogne du label Category III. Mais Lawrence Ah Mon ne regarde pas ces enfants tomber, si ce n’est trébucher, et cette incursion infernale ne se prétend donc pas condamnation, juste douloureux avertissement. Ouf.
Présenté lors de l’édition 2012 du Festival des 3 Continents dans le cadre d’une rétrospective consacrée à la Milkyway, Spacked Out, reste a priori disponible en VCD et DVD HK sur quelques boutiques en ligne.





