Splice
Film génétiquement modifié.
Véritable machine à fantasmes depuis les premières photos dévoilés il y a plus d’un an, le dernier rejeton de Vincenzo Natali avait de quoi exciter les imaginations avec sa créature au design si singulier. Les amoureux de monstres, ont très vite été particulièrement intrigués par ce récit de science-fiction semblant, sur le papier, réunir tous les ingrédients d’un véritable film d’exception. Guillermo Del Toro, roi des « monstrophiles » s’il en est, ne s’y est d’ailleurs pas trompé, et a soutenu Natali en produisant le film. Ce soutien, financier et créatif, est plus que salvateur pour le projet, puisqu’il y injecte également une certaine confiance des investisseurs, rassurés par la collaboration du mexicain, et qui étaient jusque là assez frileux compte tenu des thématiques sulfureuses du script que Natali portait depuis plus de dix ans. Car Splice fut écrit à quatre mains depuis les bancs de l’école de cinéma canadienne que Vincenzo fréquenta avec Antoinette Terry Bryant (co-scénariste), et trottait donc dans l’esprit du metteur en scène bien avant le succès de Cube. Sans jamais trouver les fonds nécessaires pour le concrétiser.
Splice traite de manipulations génétiques. Elsa et Clive sont deux jeunes scientifiques brillants, travaillant pour le compte d’une société privée. Ils sont chargés de développer des organismes de synthèse, afin d’en extraire certains gènes destinés à l’industrie agroalimentaire. Leur projet étant de plus en plus couronné de succès, ils décident de proposer à leurs patrons de passer à un organisme hybride à l’humain, afin, peut-être, de développer des solutions à certaines maladies génétiques. Leurs ambitions durement réfrénées par les intérêts financiers à court-terme de leur patron, les deux généticiens vont décider d’utiliser le matériel à leur disposition pour développer en secret l’hybride, combinaison de gènes animaux et humains...
Natali a toujours été un réalisateur qui a intégré bon nombre d’éléments scientifiques avérés dans ses récits de SF. Cube et ses nombres premiers, Cypher et ses mécanismes du cerveau... Splice ne déroge pas à la règle, et semble être de ces films qui n’ont pas de science-fiction que le nom. Relativement documenté sur la question, Vincenzo Natali a fait évoluer son scénario en même temps que les avancées en la matière pendant les dix années de gestation du projet. Et le tout se sent à l’écran. Adrien Brody et Sarah Polley sont parfaitement crédibles, et la probabilité de manipulation d’ADN humain, dans un monde contemporain aussi perturbé que celui que nous connaissons, est parfaitement concevable. Baignant dans une ambiance qu’une Mary Shelley n’aurait pas reniée, le métrage commence donc très bien et semble tenir ses promesses dans toute sa première partie.
Car la créature dont accouchent, un peu malgré eux, Clive et Elsa, est bel et bien aussi réussie qu’on pouvait l’espérer. Et c’est là la principale réussite du film. Affectueusement nommée Dren par ses « géniteurs », elle est le résultat d’un concept artistique époustouflant. Entièrement créée à base de CGI durant sa phase de nourrisson, puis laissant plus de places aux comédiennes derrière le personnage au fur et à mesure de sa croissance, Dren semble prendre de plus en plus forme humaine au fur et à mesure qu’elle s’approche d’une certaine maturité. Et c’est toute cette ambivalence qui crée un rapport dérangeant entre la créature et le spectateur. Si nous sommes assez habitués à voir portés à l’écran des monstres à la morphologie difforme et éloignée de tout standard du vivant, Dren semble être plutôt habilement conçue de façon à constamment nous rappeler la part d’humanité qui transpire de son ADN. Ainsi, c’est un placement des yeux très éloignés du centre du visage, un front proéminent et scindé en deux lobes qui vont par exemple rappeler le côté totalement « freak » du personnage. Alors que son regard, ses expressions faciales, viennent prouver le contraire. Le malaise est alors constant dans chaque scène l’impliquant. Malaise empreint d’une certaine forme de fascination pour cet être si proche de nous, mais en même temps tellement différent. Il faut donc avant tout applaudir le boulot exemplaire effectué sur Dren. Du concept artistique de base à l’interprétation de Delphine Chanéac derrière la créature, en passant par les effets spéciaux, Splice prouve que c’est toujours par un subtil mélange entre effets numériques, maquillages et jeu du comédien que les meilleurs personnages fantastiques arrivent à prendre réellement vie à l’écran.
Outre ces considérations esthétiques et le pari tenu sur la qualité de la créature, le film ne semble pas néanmoins reposer uniquement son concept sur Dren et son impact sur le spectateur. Sans se contenter de centrer son propos autour de dissertations scientifiques sur la moralité de se prendre pour Dieu, Vincenzo Natali semble avant tout s’intéresser à la parentalité dans Splice. Ou du moins certains maux d’une parentalité déviante. Ainsi, Elsa va très vite reporter son désir de maternité non assumée sur la petite Dren. Passant tout son temps avec elle, l’humanisant de plus en plus, là où Clive rechigne à voir en elle autre chose qu’un sujet scientifique comme un autre. Perturbée par une enfance compliquée avec sa propre mère, Elsa semble laisser libre court à un amour maternel inassouvi avec la créature, puisqu’elle refuse par ailleurs l’idée même d’accoucher lors d’une discussion avec Clive. Mais le temps avançant, Dren grandissant, les rôles semblent s’inverser. En même temps qu’elle devient plus adulte, et développe des attributs de plus en plus humains, Dren finit par devenir une rivale pour Elsa, et attirante pour Clive. Jusqu’au point culminant où tandis qu’Elsa, à l’image d’une mère castratrice, mutilera délibérément Dren sous couvert d’excuses scientifiques, Clive laissera parler ses plus bas instincts dans une scène limite incestueuse...
Bref, tout est pour le moins réjouissant durant la majeure partie du film. Ce mélange remarquable de mutations humano-animale et de sexualité déviante rappelant d’ailleurs souvent Cronenberg, fameux compatriote de Natali, dans ses thématiques et son approche plastique. On n’avait pas vu ça depuis longtemps. Malheureusement, dès le début du dernier acte, on comprend très vite qu’on assiste à la mort programmée d’un métrage pourtant porteur de tellement de qualités. Car Splice se transforme rapidement en un nanar bis insipide, fade et à l’imagination scénaristique navrante. Dren, et par son intermédiaire le film tout entier, perd alors toute la magie et l’ambiance mi-malsaine mi-fascinante que Natali avait réussi à lui insuffler. Les enjeux du film se métamorphosent et tournent presque au ridicule dans sa conclusion, réduisant la créature à une bête primaire, lui enlevant par là-même toute son humanité, pourtant croissante depuis le début du métrage.
Splice est donc absolument inratable pour les amoureux des créatures au cinéma, et de la relation particulière qui les unit souvent à leurs créateurs. En rappelant les meilleures heures de Cronenberg, Natali prouve avec ce film, surement très personnel, qu’on peut encore fabriquer du merveilleux et du malsain à l’écran en traitant pourtant d’un sujet d’anticipation brûlant. A condition de sortir de la salle dès le début du dernier acte et de se fabriquer la fin soi-même.
Splice sortira sur les écrans français le mercredi 30 juin 2010.








