Steel Cold Winter
Youn-soo (Kim Shi-hoo), lycéen secret qui souffre de violents troubles auditifs, quitte Seoul pour la campagne, la vie rurale jugée plus propice à la réussite de ses études. Raillé dés son arrivée par des ploucs autoproclamés, qui aiment à provoquer les citadins, Youn-soo est intrigué par la mystérieuse Hae-won (Kim Yoon-Hye), dont le seul plaisir semble être de patiner sur un lac gelé proche. Ignorée par ses camarades, cette jeune fille taciturne, dont le père est porteur de handicap mental, est ostracisée par la rumeur ; force virale dont Steel Cold Winter, première réalisation de Choi Jin-seong, va s’employer à démontrer l’inertie destructrice, et que Youn-soo a en réalité déjà côtoyée...
Il y a, dans ce long-métrage de Choi Jin-seong, quelque chose de Kim Ki-duk : une perversion des rapports humains, un amour qui se concrétise dans la violence... ou peut-être est-ce simplement l’ostracisation de la troublante Hae-won et son cadre rural, qui évoquent en moi le souvenir d’Address Unknown et de la borgne Eun-ok. Hae-won... Sa première apparition à l’écran de Steel Cold Winter, exposée plein-pied sur la glace, froide comme le lac sur lequel elle se tient et dont on ne saurait percer la surface pour entrevoir les remous, résume bien l’attrait ambigu du long-métrage. La jeune femme joue de la rumeur qui forge son triste quotidien, pour instaurer un rapport contradictoire d’attraction et de répulsion, laissant sans cesse le doute planer sur sa véritable nature, plaçant de fait Youn-soo dans le rôle ingrat du juge, libre d’interpréter les indices que le film distille à sa guise...
Qu’importe, de toute façon, la culpabilité de l’ « accusée », quand la rumeur a déjà détruit son image, faussé son existence sociale ? Qu’importe qu’un porc soit réellement malade, si l’épidémie de fièvre aphteuse recommande de l’abattre, sous prétexte qu’il pourrait l’être ? Le parallèle effectué par Choi Jin-Seong, qui filme l’enfouissement des bêtes encore vivantes, n’est pas particulièrement subtil, mais, glacial comme le reste du métrage, il fait – c’est approprié - froid dans le dos. Steel Cold Winter met en scène une condamnation a priori de son héroïne, globale, autant que de son père, qui conduit le métrage à une explosion de violence. En cours de route, la suspicion devient prétexte aux abus, et vice-versa, dans un déprimant motif nihiliste.
La rumeur, ses mensonges et ses réalités, ses causes et conséquences, s’incarnent dans Steel Cold Winter en force physique, onde dévastatrice qui prend d’abord la forme du trouble auditif de Youn-soo, agression sonore du personnage comme du spectateur, puis de la colère meurtrière. Si le premier, malaise de plus à l’actif du métrage, est pertinent, la seconde, aboutissement extériorisé de cette incarnation, impliquant un Youn-soo à bout, à la fois spectateur et partie prenante, amoindrit paradoxalement la force de Steel Cold Winter. Le film aurait à mon sens gagné à rester plus trouble, en phase avec la prestation incroyable de la jeune Kim Yoon-hye, fascinante « fille » du titre original, plutôt que de s’abandonner à une violence si explicite, presque théâtrale. Celle-ci, exprimée au cours d’une éclipse, lunaire, plus froide que celle qui scellait aussi, à Deauville, le Suneung de Shin Su-won, plonge explicitement Steel Cold Winter dans les ténèbres. Même s’il faut encore un temps à ses protagonistes – sempiternelles minutes de trop du cinéma contemporain - pour le reconnaître.
Steel Cold Winter a été présenté en compétition officielle au cours de la 16ème édition du Festival du film asiatique de Deauville (2014).





