Stoic
Il n’est jamais aisé de reprendre la plume, fut elle numérique, après une longue absence de ces pages. Faut-il alors se ruer sur les obligations auto-imposées, et rattraper le retard des films envoyés par divers éditeurs qui soutiennent notre intérêt pour les cinémas, d’Asie et d’ailleurs ? Ou renouer justement, avec les goûts, limitrophes et volontaires, qui nous ont amenés à nous exprimer en premier lieu ? Je choisis souvent, pour ma part, la deuxième option, n’en déplaise à mes responsabilités. Un film aisé, souvent léger, exagéré et dénudé, qui parle de lui-même et fait donc le travail à ma place. Sans une telle œuvre en stock, un titre issu de la filmographie d’Uwe Boll paraît une alternative tout aussi envisageable : les moult qualités et défauts du réalisateur, rarement timoré dans ses réussites et ses échecs, constituant un terreau fertile à l’expression ; engrais ou purin selon les goûts de chacun.
En ce qui me concerne, Stoic, huis-clos dérangeant mis en boîte à proximité de Rampage, Tunnel Rats et autre Far Cry, lorgne plutôt du côté de l’engrais, du moins en terme de qualité ; car en matière de contenu, littéralement fécal à plusieurs occasions, l’affaire est autrement plus crasse. Dans la cellule 313 d’une prison anonyme, quatre co-détenus, emprisonnés pour délits et peines mineurs, tapent le carton. Mitch (Shaun Sipos) pour une fois, mène haut la main, et, tel Patrick Bruel dans ses meilleurs jours, dépouille ses amis d’infortune de leurs cigarettes. Bien entendu, Harry (Edward Furlong), Peter (Sam Levinson) et Jack (Steffen Mennekes) ne l’entendent pas de cette façon, et négocient avec le bien-chanceux pour qu’il leur avance du tabac, seule monnaie d’échange en cellule. Jouissant, un instant, d’un ascendant inespéré sur ses camarades, Mitch fait monter les enchères et lance un pari : quiconque perdra en premier, après cette petite résurrection, devra avaler un tube de dentifrice entier. Sauf que, quelques instants après, Mitch s’est fait plumer, et refuse de faire honneur à l’humiliation qu’il a lui-même dictée. Harry, privé du premier divertissement digne de ce nom depuis son institutionnalisation, crame un fusible et se rue sur le jeune homme, rapidement imité par Peter et Jack. Cela commence avec des mots, des coups et du dentifrice ingéré de force ; cela finira en sodomies, réelle puis perpétrée avec le manche d’un balais.
C’est une histoire vraie, quelque part en Allemagne en 2006, qui inspire Uwe Boll au point de se lancer dans l’entreprise Stoic : trois menus détenus qui en ont torturé et violé un autre, avant de mesurer leur accès de folie et de tuer le délateur potentiel, en maquillant l’incident en suicide. Sans scénario, avec pour seul synopsis l’énumération des sévices infligés à la victime, Boll et ses quatre acteurs - dont un Edward Furlong excellent mais tout de même bien loin de Little Odessa – s’enferment dans un lieu de tournage unique et improvisent les interstices de cette réaction en chaîne, reconstituant une dynamique négative de groupe à même de mener au meurtre. Étirant pendant près d’une heure et demie l’insistance perverse de la scène du marteau de Seed, Boll trouve ainsi une parade à sa direction d’acteurs d’ordinaire exécrable, laissant les protagonistes trouver leur propre gradation, leurs égarements et surenchères, entre d’ignobles jalons de violence, filmés dans la même palette de quasi-gris que les exactions de Max Seed.
Il en résulte à l’écran une certaine authenticité – bien que l’on s’étonne qu’aucun garde ne s’alarme du vacarme qui règne en 313 -, qui donne à Stoic ses galons de film gentiment malade, malsain à souhait et presque vain, bien que la démonstration de Boll soit juste. Le récit est entrecoupé d’interrogatoires dépouillés et contradictoires des bourreaux, servant à mettre en lumière l’extinction de l’individualité dans une dynamique de survie et de peur, ainsi que son douloureux réveil lorsque le groupe est éclaté, la crainte de devenir à son tour une victime bien lointaine. Quelque peu démago, Boll regarde le plus faible devenir le plus méchant, et le plus méchant, redoutable manipulateur, s’en sortir avec la peine la moins sévère ; pourtant la mécanique de renie de l’âme, qu’il développe avec une économie de moyens toujours admirable, fait de Stoic une œuvre à part, résolument humaine dans son inexorable extrémisme, théorie du chaos sous compression carcérale. On y entrevoit de tétanisants appels à l’aide, noyés dans le silence de faiblesses auxquelles chacun refusera de s’abandonner, préférant se perdre dans la supposée force, horriblement graduée, des autres.
Stoic est notamment disponible en DVD zone 2 UK, sans sous-titres, avec des suppléments bien dosés, permettant d’apprécier l’ambiance si particulière qui a construit cette descente aux enfers.




