Stupeur et Tremblements
En commençant l’écriture de cet article, je ne sais pas encore sous quelle rubrique il trouvera sa place au sein de SdA, car le film n’a de français que la nationalité de son réalisateur Alain Corneau (Police Python 357, Tous les matins du monde...) et de son actrice principale, Sylvie Testud (Les Blessures Assassines) qui y tient le rôle d’Amélie Nothomb. Le réalisateur se serait même vu refuser sa participation aux Césars, le jury ne jugeant pas son film suffisamment franco-français... Tant pis pour eux ! Le film est pratiquement intégralement en japonais, hormis la voix off de Sylvie Testud qui nous conte l’histoire.
Une jeune femme belge, Amélie (Sylvie Testud) décide de venir faire un stage d’un an après ses études, au Japon, au sein d’une multi-nationale très puissante, la très fameuse et prestigieuse entreprise Yumimoto. Ce stage lui permet un retour aux sources puisqu’Amélie a vécu au Japon jusqu’à l’âge de cinq ans, et voue un véritable culte à l’Empire du Soleil Levant. Elle maîtrise par ailleurs le japonais parfaitement, ce qui a facilité son embauche.
Tout d’abord très fière d’avoir pu intégrer Yumimoto, et remplie d’une soif d’apprendre, Amélie découvre vite ce que signifient les termes de "hiérarchie" et d’ "obéissance" au sein d’une entreprise japonaise d’une telle envergure. Dès son premier jour, ses supérieurs lui sont présentés : Monsieur Haneda (Sokyu Fujita), PDG de Yumimoto, somme toute assez humain, supérieur hiérarchique de Monsieur Omochi (Bison Katayama), personage obèse, hurlant et repoussant, lui-même supérieur de Monsieur Saito (Taro Suwa) souffrant du syndrôme du ridicule "petit chef", supérieur de Mademoiselle Fubuki Mori (Kaori Tsuji), supérieure directe d’Amélie-San. Où plutôt devrait-on dire qu’Amélie est sous les ordres de Mlle Mori, elle-même sous les ordres de M. Saito, etc...
Embauchée initialement pour ses compétences en tant que traductrice, elle se retrouve affublée des pires taches fonctionnelles, le cauchemar de tout bon stagiaire : classement de dossiers, archivages, photocopies utiles et inutiles en tout genre (jusqu’au règlement du club de golf de M. Saito !). Mais Amélie ne s’en inquiète pas tout de suite, concluant qu’elle se doit d’obéir et observer les règles de politesse du pays, avant de se faire accepter parmi les orientaux. Elle pense trouver une alliée en sa supérieure, Fubuki Mori, et s’épanche fréquemment auprès d’elle de ses petits états d’âme. Amélie est littéralement fascinée par la beauté froide de cette femme, elle s’amuse notamment de remarquer que l’idéogramme "Fubuki" signifie "Tempête de neige", ce qui sied à merveille au personnage. Fubuki, à l’inverse de la majorité des Japonaises, est une femme de taille anormalement grande, "née pour dominer le monde" d’après Amélie Nothomb : son physique imposant envoûte complètement Amélie qui se prend sincèrement d’affection pour elle, et décèle derrière la froideur apparente de Fubuki la souffrance profonde d’une vie sacrifiée au profit de la réussite professionnelle.
Tout se déroule "à peu près bien" jusqu’au jour où Amélie rencontre pendant ses innombrables heures de photocopieuse le gentil Monsieur Tenshi (Yasunami Kondo), seul être capable de cerner les capacités d’Amélie. Il lui propose de faire une étude de marché sur un produit belge, jugeant qu’elle sera mieux à même d’y parvenir étant originaire du pays et parlant le japonais. Amélie, ravie de la confiance soudaine qui lui est accordée s’exécute, dans les plus brefs délais, et avec succès... Mais c’est sans compter que tout ceci n’est absolument pas du goût de Fubuki, qui ne supporterait pas de voir une petite occidentale impertinente gravir les échelons plus vite qu’elle en brûlant les étapes. Car il faut bien admettre que le cerveau occidental est très inférieur au cerveau oriental, et qu’il est donc d’une prétention et d’une inconscience sans bornes de penser réussir aussi vite !
À partir de ce moment commence une lente descente aux enfers pour Amélie, humiliée maintes et maintes fois par Fubuki qui cherche à se venger d’elle, jusqu’à ce qu’elle atteigne le statut de "rien" . Amélie est résignée, souhaitant se comporter comme il se doit (on ne contredit jamais son supérieur), se fondre parmi les Japonais jusqu’à ce qu’on en oublie son identité.
"Petite je voulais devenir Dieu [...], Puis consciente de mon excès d’ambition, j’acceptais de faire martyre quand je serais grande. [...] Mais il n’y avait pas de frein à ma foudroyante chute sociale. Je fus donc mutée au poste de rien du tout. Mais rien du tout c’était encore trop bien pour moi". Ces quelques phrases d’Amélie Nothomb résument parfaitement l’histoire. Histoire qu’elle a réellement vécue et fidèlement transposée par écrit.
On reconnaît dans le film l’humour malgré tout, l’ironie et la dérision qui caractérisent si bien son écriture. Parfois même tout ceci fricotte intimement avec le masochisme, on se demande sérieusement comment n’importe quelle personne normalement constituée pourrait supporter de tels rabaissements, de telles injures ! Mais Amélie Nothomb excèle à porter couramment ses lecteurs à la limite entre la fascination et le dégoût. L’envie d’Alain Corneau d’adapter à l’écran le livre éponyme d’Amélie Nothomb lui est venu du souvenir impérissable que lui avait laissé un voyage au Japon : "C’est le pays où le mystère de l’autre est le plus grand". L’histoire montre à quel point les éducations orientales et occidentales sont aux antipodes l’une de l’autre. Au Japon, d’après l’écrivain, on doit le respect à son supérieur direct sans broncher, aussi ingrates les requêtes puissent-elles paraîtres. Émettre une idée, une opinion, sans y avoir été invité est le comble de l’insolence, de la suffisance et de la grossièreté. Et pire encore, un occidental qui ose parler japonais est le summum de l’insulte car un cerveau aussi dépourvu d’intelligence ne peut oser prétendre parler cette langue divine.
Pour le rôle de Fubuki, Alain Corneau a longtemps cherché une femme pouvant correspondre aux descriptions données par d’Amélie Nothomb, ce qui a posé problème étant donné le physique des japonaises, d’une taille d’1.65 m de moyenne. Finalement, en s’adressant aux agences de mannequins, il a trouvé LA femme parfaite pour endosser le rôle de la tortionnaire Fubuki : la splendide Kaori Tsuji, mannequin, résidant à Paris. Pouvait-on imaginer un plus parfait physique pour donner vie à la froide et dominatrice supérieure d’Amélie-san ? On saluera le jeu exemplaire de Sylvie Testud qui a pris des cours intensifs de japonais pendant deux mois, et bluffe incroyablement le spectateur tant elle semble maîtriser l’élocution, l’accent, les différentes tonalités des idéogrammes, et toute la gestuelle de politesse propre aux Japonais.
Le "couple" Testud-Tsuji fait des merveilles, même si on aurait tendance à reprocher au film certaines longueurs (1h47 à l’écran pour un livre qui se lit en 2h...). On a l’impression de lire le livre une deuxième fois, certains disent que c’est bien, d’autres que le réalisateur n’a justement pas fait preuve d’initiative. Moi cela me convient parfaitement !
En salles !!!



