Sukiyaki Western Django
Nevada, Japan : Miike et la glocalisation heureuse.
Un homme sans nom débarque dans une ville du Nevada, où s’affrontent deux clans opposés, les Heike et les Genji, en pleine Guerre de Genpei. Les uns sont vêtus de rouge, les autres de blanc, et tous convoitent l’or censé se trouver sur place. Leurs chefs respectifs, Kiyomori et Yoshitsune, se disputent la loyauté de cet inconnu qui semblent manier la poudre avec aisance. Le pistolero préfère se ranger du côté d’une femme, Ruriko, l’une des seules habitantes à ne pas avoir abandonner sa ville à la querelle. Elle lui conte l’histoire des lieux, marqués par la mort d’un couple d’amoureux nés sous des étoiles contraires, l’une rouge et l’autre blanche...
C’est Quentin Tarantino qui sert de passeur au spectateur, pour pénétrer dans l’univers de Sukiyaki Western Django. A première vue, nous sommes en terrain connu : des cowboys s’affrontent au coucher du soleil, alors qu’une montagne se dresse fièrement au loin, écho formidable d’une virilité à barillet. Les détails pourtant, font exploser la cohérence du tableau : face au gringo Tarantino, les cowboys sont japonais et parlent anglais, le décor est peint et la montagne en question, bien loin des Rocheuses, n’est autre que le Mont Fuji. Alors que le sang vient éclabousser la peinture qui sert de toile de fond, brisant l’illusion du cinéma, une autre réalité, alternative, s’affirme : ce western là aura un goût spécial ; non pas de spaghetti, mais de sukiyaki. Un plat japonais tout en libertés et mélanges, symbole parfait de cet hommage de Miike à plus d’un demi-siècle d’inter-appropriations culturelles.
Le western spaghetti a toujours été l’une des plus délicieuses incarnations d’un cinéma aculturel. Né d’un détournement du cinéma japonais, avec des acteurs de tous les horizons, tourné sans le son pour que chaque version puisse être qualifiée d’originale... Avant que les acteurs modernes de la propagation culturelle ne l’explicitent en tant que stratégie commerciale, le western spaghetti, ses incarnations Leoniennes notamment, étaient déjà les vecteurs d’une glocalisation parfaite, plus ou moins consciente. L’Italie se faisait héritière improbable du Grand Ouest, les Sierras espagnoles incarnaient de superbes vallées américaines, le code des samurai se prêtait parfaitement à la rigueur du duel, et la conception du doublage permettait de cibler, d’emblée, le film pour chaque pays de distribution. Un cinéma né de plusieurs cultures, qui parvenait à toucher autant de spécificités locales que nécessaire, et devenait par la même universel.
Si la fondue de Takashi Miike a été tourné en anglais, c’est certainement dans l’esprit de ces plateaux d’antan, partagés par des acteurs américains, espagnols, français et italien, tous doublés en post-production. Le réalisateur d’Izo lui, livre une sorte de post-synchronisation anticipée, comme pour détacher son œuvre d’une identité nationale trop marquée. Pourtant les éléments qui la composent sont assurément japonais, puisque les emprunts que Miike revendique appartiennent à l’origine à Kurosawa. Prenez Yojimbo, croisez-le avec Leone, recroisez-le avec du Kurosawa lui même coloré de Shakespeare, redonnez le tout à Corbucci pour enfin le restituer avec l’assimilation insolente d’un Tarantino... La démarche est d’autant plus cohérente qu’elle résume 50 ans d’interactions cinématographiques. Miike singe tout le monde et personne, héritier d’une méta-culture qu’il fait sienne avec génie. Car s’il est un film populaire remarquable, essentiellement référentiel, Sukiyaki Western Django est avant tout un film de Takashi Miike.
Gentiment anachronique et conscient - et fier de l’être - de son côté otaku, le metteur en scène poursuit un instant le travail d’abstraction entamé avec Izo et surtout Big Bang Love Juvenile A (la mise en scène de la séquence d’introduction), reprend le gimmick de Django pour affirmer son goût de l’exagération, met autant d’humour que d’amour dans sa violence, et, enfin, noie la noirceur de son univers dans une poésie humaniste. Sukiyaki Western Django en effet, n’oublie pas de s’adresser, comme tant des films du réalisateur, aux enfants qui constituent notre avenir, les suppliant de vivre - armés certes, mais peut-être d’une connaissance ? - heureux dans un monde sans identité nationaliste ; une perte de filiation (au sens culturel), que traduit parfaitement la disparition des parents du futur Django. Le génie de Miike tient en ce qu’il puise dans cette globalisation violente la force de créer une glocalisation contradictoire, en ce qu’elle ne passe justement par aucune adaptation supplémentaire : les spectateurs du monde entier peuvent immédiatement s’y reconnaître, tout en apprenant à mieux connaître les autres. Pour découvrir finalement, que peu de choses nous séparent. Même nos figures historiques - réelles et littéraires - sont les mêmes ; Miike soulignant la similitude entre la Guerre de Genpei et la Guerre des Deux-Roses anglaise, Kiyomori allant jusqu’à se faire appeler Henry par les membres de son clan, en hommage au Henry VI de Shakespeare.
Tous les hommages de Sukiyaki Western Django sont ainsi parfaitement explicites ; loin d’être un film patchwork cependant, simple compilation habile et jouissive - ce qui serait déjà beaucoup -, son attitude référentielle est avant tout fondatrice d’un cinéma assurément universel, intelligemment à contre-courant. Et ce Django venu d’Orient, festival de costumes et couleurs, magnifiquement mis en scène et interprété (Kaori Momoi trouve ici un rôle légendaire) est certainement l’un des films les plus enthousiaste et généreux jamais tourné. Dans son indémontable et contagieux optimisme cinématographique, c’est aussi à mon avis, l’un des premiers western à incarner autant le crépuscule que l’aube.
Sukiyaki Western Django est disponible en DVD (et Blu-Ray) japonais chez Geneon. L’édition collector, composée de trois DVD et du storyboard du film dans une boîte criblée d’impacts de balles, est évidemment plus que recommandée.





