Sweeney Todd : The Demon Barber of Fleet Street
Certes, j’ai une interview sur le feu. Certes, je dois encore me charger d’une partie de la filmographie de Takeshi Kitano ainsi que de quelques productions indiennes qui attendent sagement sur une étagère depuis plusieurs années. Certes, mon emploi du temps est assez chargé ces derniers mois. Mais à chaque fois que j’écoute la bande originale de V For Vendetta et que je tombe sur le morceau Evey Reborn, je rumine à l’idée de savoir que cette tuerie n’est pas encore traitée sur SdA, donc me voici lancé sur Sweeney Todd, afin de ne pas reproduire le même schéma.
Par où commencer... Le casting ? La musique ? L’histoire ? Le générique. Tant par son sujet, son utilisation des CGI que par sa musique (pourtant signée d’un compositeur autre que Danny Elfman), celui-ci n’est pas sans évoquer l’introduction de Charlie et la chocolaterie, mais dans un registre évidemment plus sombre. Ici, point de friandises aux couleurs vives ; le ton est donné, pleinement gothique, baigné de blanc, gris, noir et surtout rouge sang. Au fil du film, l’image s’autorisera quelques écarts de couleurs, lors de flashbacks ou scènes rêvées, mais l’étalonnage restera toujours fidèle à la température établie par ces premières images puis maintenue par la reconstitution virtuelle d’un Londres époque XIXème. C’est d’ailleurs ce parti-pris visuel qui permettra aux scènes particulièrement violentes de ne pas choquer un certain public.
Car, comme le titre (et l’affiche) le suggère, Sweeney Todd est un barbier qui aime jouer du rasoir sur la gorge de ses clients, nous promettant ainsi quelques magnifiques effusions sur écran. Mais il est surtout la victime d’un spectre. Sans trop en révéler, l’intrigue repose sur la vengeance d’un barbier, Benjamin Barker, envoyé injustement en exil pendant quinze ans par le juge Turpin afin que ce dernier puisse abuser de sa femme et retenir sa fille captive dans des perspectives futures tout aussi peu honorables... De retour à Londres, le barbier prend alors une nouvelle identité, Sweeney Todd, afin d’exécuter son dessein.
Inspirée du folklore anglais, d’une pièce de théâtre écrite dans les années 70 puis de son adaptation en comédie musicale par Stephen Sondheim, la dramaturgie de la version de Tim Burton est un pure délice : aucun personnage n’est introduit gratuitement, tous les segments de l’intrigue s’accordent avec fluidité et quelques révélations viennent pimenter l’ensemble. Sans être trop complexe, elle vous laisse réfléchir plusieurs jours durant, révélant progressivement sa richesse et sa nature romantique ; je vous laisse méditer sur le fait que l’Amour est la clé de chacune des partitions criminelles suivies par les différents protagonistes...
Pour servir ce texte, un casting impeccable, mené par Johnny Depp qui n’a pas volé sa nomination aux Oscars 2008 ; une prestation incroyable de justesse, donnant toute sa profondeur au personnage de Sweeney Todd, ce côté on the edge en arrière-plan. À ses côtés, Helena Bonham Carter et Alan Rickman, échappés des plateaux d’Harry Potter, confirment tout le bien que l’on pense d’eux et nous charment avec leur accent so british tellement irrésistible. Quant à Sacha Baron Cohen aka Borat, bien que méconnaissable, ses dix/quinze minutes de présence à l’écran dans le rôle d’Adolfo Pirelli, barbier grandiloquent, assurent le divertissement.
Mais je vous ai gardé le meilleur pour la fin : la bande originale. Tout aussi importante que le scénario ou le jeu des acteurs dans une comédie musicale, voire même plus importante pour l’oreille musicale que je suis, celle de Sweeney Todd est un pur bonheur. Totalement orchestrale, tantôt retenue, tantôt grandiose, toutes les nuances d’expression y sont déclinées ; dès les premières minutes du générique, le spectateur/auditeur traverse le gothique, un nuage de complaintes tristes/torturées ainsi qu’une tension urbaine qui n’est pas sans rappeler les envolées baroques de Moulin Rouge.
L’un des points forts de cette bande originale (et non des moindres) réside également dans la qualité de son mixage. Sur le plan musical, les voix se marient à merveille avec les différentes sections de l’orchestre, souvent à l’unisson, tant mélodique que dynamique, donnant au final un effet ravageur d’amplification des émotions. Et sur le plan technique, cette dynamique est très bien rendue par un mixage sonore emplissant tout l’espace sans que les très nombreux intervenants (vocaux, instrumentaux...) ne se marchent sur les fréquences, sensation d’autant plus marquée lors des contrepoints.
Cerise sur le gâteau, les prestations vocales (et originales) des différents acteurs sont à la hauteur.
De même qu’une bonne réalisation doit permettre de comprendre/apprécier un film sans le son, la seule écoute de la bande originale vous prouvera donc rapidement l’excellence du travail sonore réalisé sur Sweeney Todd. Ajoutez-y l’image lors d’une projection et c’est tout simplement le bonheur, même si les effusions finales prennent une autre direction...



