Sympathy for Lady Vengeance
Si vous rendez le bien pour le mal,
qu’allez-vous rendre pour le bien ? Confucius.
13 ans et quelques mois sont passés depuis que Geum-ja a kidnappé et assassiné l’enfant d’un riche couple, alors âgé de 5 ans. 13 longues années durant lesquelles Geum-ja fut incarcérée en compagnie de toutes sortes de délinquantes : une adultérine, une cannibale, une simple meurtrière ou encore une détrousseuse de banque. 13 ans passés à prier le Seigneur, à apprendre tout ce qui concerne la pâtisserie, à adoucir les peines et déboires de ses co-détenues. Plus d’une décennie à se reconstituer une innocence, à « réfléchir » sur ses erreurs, à se convertir au catholicisme, à exorciser ses démons du passé... à moins...
« La prison est le meilleur endroit pour prier... » Geum-ja.
...à moins que tout ceci ne soit qu’une façade, qu’un paraître, qu’un calcul dont la seule finalité est la vengeance. La vengeance contre un homme qu’elle a bien connu, un homme plus âgé qu’elle dont elle fut amoureuse alors qu’elle sortait à peine du lycée. Un homme qui n’a pas hésité à convaincre Geum-ja de se dénoncer à sa place en menaçant d’emblée la vie de sa fille, de LEUR fille tout juste née.
Illustration parfaite de l’expression mondialement connue : « La vengeance est un plat qui se mange froid » que certaines personnes n’hésitent pas à employer à torts et à cris, allant parfois jusqu’à ne communiquer que par ce type de phrases... Geum-ja se retrouve très vite brisée dans sa jeune vie d’écolière, plus amoureuse de l’apparence de son professeur (son fabuleux paraître) que de l’être humain. Car le spectateur le comprend bien vite, Baek n’est pas humain, ce qui le rattache à la race des hommes c’est seulement le fait de respirer un air commun.
Naïve au possible, la petite Geum-ja est pourtant bien vite adulte dans sa façon d’agir, dans sa volonté de rentrer dans cet espèce de coma éveillé, subissant l’ascendant de Baek, puis de la Police, des médias, de ses co-détenues et surtout l’ascendant schizophrénique qu’elle laisse se propager en elle, clairement illustré par le changement de direction du scénario, qui passe d’une vengeance personnelle à une vengeance de groupe. Geum-ja se posera alors comme arbitre/juge, et demandera aux parents des enfants disparus d’être jurés et bourreaux. L’aspect de la personnalité de Geum-ja le plus intéressant, est la facilité avec laquelle elle parvient à entraîner dans son propre sillon qui elle veut. Cette sorte d’ « uzumaki » de la folie contagieuse... On vient même jusqu’à penser que Geum-ja s’est laissé manipuler par Baek parce qu’elle avait déjà envie de se venger avant qu’il lui fasse le moindre mal.
Mettons nous d’accord, ce ne sont pas les épreuves que Geum-ja affronte qui l’ont transformée. C’est elle qui s’est laissée glisser de stade en stade : la petite innocente, la détenue exemplaire, la divine sorcière froide et calculatrice, et l’exécutrice finale. La fin, justement, qui obligatoirement soulève bon nombre de problèmes, met un grand coup de pied dans les principes de convenance et autres lois naturelles.
Car en fait d’un certain point de vue, Park Chan-Wook se joue parfaitement de nous en nous faisant croire qu’il légitime la violence, la loi du talion, le célèbre et particulièrement puéril : « tu me fais mal, je te le rends au centuple parce que tu le mérites tu m’as fait mal !! » Mais ce que Park souhaite, c’est nous faire réfléchir aux solutions que lui-même n’a pas su trouvées, et la liste de ses demandes s’allonge au fur et à mesure qu’il prolonge la scène de la toute fin, flirtant avec un mauvais goût proche de celui du segment Cut de Three... Extremes. La mise en image, le choix de Vivaldi (encore ?!!) pour thème principal, le choix de Lee Young-Ae, actrice de romance télévisuelle, tout cela n’est qu’exercice de style. Park Chan-Wook est un grand joueur, il le prouve définitivement avec sa Lady Vengeance.
« Y a-t-il des absolus moraux ? »
Je crois qu’il n’y a pas vraiment de réponse universelle ou standard ; chacun croit avoir sa réponse, chacun doit trouver sa réponse, les faiseurs de lois ne statueront vraiment jamais : c’est un débat par trop houleux et bien complexe à tout niveau.
Regardez : souvent, dans les pays où la peine de mort a encore une existence, les journalistes demandent très tôt dans les campagnes présidentielles si tel ou tel candidat est pour ou contre. Pour ce faire ils prennent directement la famille de l’homme politique pour exemple : en tant que père, si votre enfant était enlevé, violé et tuén ne voudriez-vous pas voir le coupable de ce crime mourir dans des tortures similaires ? Le plus normalement constitué des hommes répondra honnêtement qu’en tant que père il voudra lui-même appuyer sur la gâchette, et que c’est pour cette raison qu’un père ne peut faire part de son jugement lors d’une telle situation, c’est pour cette raison que des juges siègent impartiaux et habillés de noir comme Geum-ja.
Pour sûr, l’évolution de l’homme voudrait que l’on ne règle pas la violence par une autre violence, une injustice par une autre injustice, cercle vicieux sans fin par définition.
Paradoxe échevelé qui conduirait pour les penseurs des hautes sphères à faire disparaître ce que l’on cherche : une justice pour tout crime commis.
Et c’est là que se perd le personnage de Geum-ja, qu’est son grief : avoir perdu 13ans de sa vie, ne pas avoir connu l’enfance puis l’adolescence de son enfant, s’être laissée accuser du meurtre de cet enfant ou sa perte totale de dignité... Non car en fait nous sommes de moins en moins sûrs que Geum-ja n’a pas jubilé de se voir incarcérer, voyant peut-être le moyen de se forger un nouveau soi pour tromper son monde... car enfin, pourquoi endurer cet emprisonnement et l’ éloignement de son enfant, si ce n’est pour le plaisir de calculer ses actes de vengeance future ?
Et ce qui soude ce groupe de parents est aussi bien le chagrin que la haine envers celui qui leur a infligé cette peine. Ces hommes et femmes, à qui la loi demande de devenir jurés et finalement bourreaux (quel juré ne l’est pas indirectement ?) ont-ils l’aisance spirituelle pour relativiser l’importance de leur décision ? N’y aurait-il pas quelque chose de pervers dans le fait de demander à de simples citoyens de statuer sur le devenir d’un criminel ? Un homme peut-il juger un autre homme, prendre sa vie comme si de rien n’était ? La justice divine, ou en tout cas émanant d’une autorité royale, a longtemps était prisée dans beaucoup de cultures et peuples, un retour aux lois des rois Arthur et David prévaudrait peut-être plus.
Lady Vengeance est ainsi presque pathétique, car ces parents déchirés se retrouvent comblés dans un acte froid de mort, c’est un soulagement indescriptible et pourtant outre l’amoralité de cette situation (se réunir pour tuer un meurtrier), les comportements post vengeance semblent bien plus noirs que le simple fait d’exécuter un homme. Même si dans l’inconscient général se faire justice soi-même peut constituer un apaisement, un remède au chagrin... pourtant...
Il y a des absolus moraux, tuer est mal, c’est juste mal... il y a des absolus moraux.
Sympathy for Lady Vengeance n’est pas un film à mettre devant les yeux de tout le monde. Il exacerbera certains et stimulera d’autres. Il exaspérera autant qu’il désarçonnera les plus avertis des spectateurs. Mais au final, peut être que l’on éprouve plus de sympathie pour cette Lady qu’on aurait pu en éprouver pour Mister. Je ne sais pas, il faudrait le revoir.
Sympathy for Lady Vengeance est disponible en DVD coréen double disque, sous-titré en anglais. Il existe une édition de HK et une autre nippone (2 dvds) à la jaquette somptueuse.




