Taboor
Taboor, la proposition radicale de cinéma de l’Iranien Vahid Vakilifar, a été accueillie à Deauville par des réactions très contrastées : les claquements des fauteuils d’une partie des spectateurs quittant la salle, et le prix Air France décerné par la « critique internationale ». Ne pas laisser indifférent est déjà une qualité pour un film.
Enfourchant son side-car, un homme parcourt de nuit une ville pour accomplir sa besogne : désinsectiser des habitations. Il est vêtu de larges vêtements qui cachent une combinaison d’aluminium, censée le protéger contre les ondes électromagnétiques qui font augmenter la température de son corps. Je pourrais continuer à vous raconter le film, mais cela ne vous avancerait guère.
Taboor, film pratiquement sans parole et constitué principalement de longs plans fixes, restera une énigme pour bon nombre de spectateurs à leur sortie de la salle. D’un point de vue critique, l’avantage de ce type de film est qu’il se prête à une multitude d’interprétations, pouvant toutes être défendues avec des arguments qui se tiennent. Pratique. Il permet aussi au réalisateur de dire tout ce qu’il veut en se parant du voile du mystère. Comme le veut l’adage : Nécessité fait loi. En République islamique d’Iran, il vaut mieux avancer masqué pour dire certaines choses, sinon gare à la censure, ou tout simplement à l’impossibilité de pouvoir continuer à faire son métier de cinéaste.
La tentation est donc grande de considérer Taboor comme une fable sur le pays du réalisateur. Même si les lieux de tournage (maison bourgeoise, sous-sols, routes…) sont suffisamment impersonnels pour que le film ait lieu dans n’importe quel pays. Les premières scènes du film - la voiture qu’il aide à pousser et l’ascenseur bloqué - donnent l’image d’un pays en panne. Quant au personnage principal, joué par le magnifique Mohammad Rabbanipour, son salut réside dans le départ de ce pays aux ondes magnétiques nocives.
Mais voir Taboor seulement sous le prisme de l’Iran serait réducteur car Vahid Vakilifar décrit aussi une peur existentielle universelle : une menace invisible, partout présente dans son film.
Pour autant, j’avoue que plusieurs des autres scènes du film m’ont laissé dans l’expectative. Mais une séquence, celle de la pièce de viande cuisant sur une plaque de cuisine, restera l’un des les plus fortes de ce festival du film asiatique de Deauville, au même titre que certains combats léchés de The Grandmasters de Wong Kar-wai.
Dans un style complètement opposé - une absence totale de fioritures -, juste le plan fixe d’une viande en train de cuire en live sous les yeux des spectateurs, cette vision triviale prend tout son sens grâce à l’une des rares interventions verbales du film : ton corps est en train de cuire de l’intérieur, comme cette viande, explique un médecin à l’homme. Tu dois quitter le pays, lui conseille-t-il.
Vahid Vakilifar a, lui, décidé de rester, et de continuer à faire du cinéma.
Taboor a été présenté en compétition au cours de la 15ème édition du Festival du film asiatique de Deauville, où il a reçu le Lotus Air France (Prix de la Critique).



