Tag
J’ai un a priori défavorable à propos de Tag et des autres films qui livrent la clé de leur mystère seulement à la fin, sans offrir suffisamment d’indications auparavant pour la découvrir. Le facteur « ouah » – le réalisateur nous a bien eu – n’est pas un motif suffisant pour apprécier un film. Ce procédé me donne trop l’impression d’être traité comme une marionnette par le réalisateur et non comme un être doué d’intelligence. Mais pour ce film de Sono Sion, la manipulation du spectateur pourrait trouver sa justification dans le fait que le thème de la manipulation y est justement central. Autre raison d’être magnanime avec le réalisateur japonais : une fois découvert le pot aux roses, l’univers qu’il a créé dans son film apparaît en parfaite cohérence avec la surprise finale.
Dans ce monde, la lycéenne Mitsuko, qui partait en voyage scolaire avec ses copines, finit par être poursuivie par une force invisible - comme tout le monde autour d’elle, amies ou inconnues. Elle est mystérieusement la seule à échapper au massacre et change à plusieurs reprises d’identités, devenant Keiko puis Izumi. Si elle change à chaque fois d’aspect physique et d’ « univers », Mitsuko n’en a pas elle-même conscience. Dans ce cauchemar éveillé, elle peut compter sur son amie Aki qu’elle retrouve à chaque occasion et qui va la mettre sur la piste de l’origine de ces étranges et horrifiques phénomènes.
Tag débute sur un « splash » avertissant ceux qui seraient entrés dans la salle par hasard – bonjour la surprise – qu’il s’agit bien d’un film de Sono Sion. L’entrée en matière rappelle celle de Suicide Club et sera suivie par de nombreuses scènes bien gore, pour lesquelles il bénéficie notamment de l’aide de Yoshihiro Nishimura. Un spectacle sanglant, réservant son lot de surprises, qui ravira les amateurs.
Mais quelles sont ces forces invisibles qui massacrent à qui mieux mieux, s’interroge Mitsuko, mais aussi le spectateur ? Vit-elle un cauchemar, s’agit-il d’une histoire de mondes parallèles ? Sans vouloir lever le voile sur le dénouement du film, il est cependant possible de fournir quelques pistes, même si Sono Sion donne peu d’indices permettant de deviner l’origine de ces forces.
L’univers dans lequel évolue Mitsuko est clairement conçu dans le but de faire plaisir aux mâles. Il est d’une part peuplé, à une exception près et encore, de jeunes femmes. Mais pas n’importe lesquelles puisqu’elles portent pendant une bonne partie du film des uniformes de lycéennes, dont les jupes sont suffisamment courtes pour que leurs petites culottes apparaissent fréquemment. Si on ajoute dans le mix une bonne dose de violence au moyen d’armes à feu ou à mains nues, la cible visée ne fait plus de doute. Et s’il n’y pas de scène de sexe - et pour cause - le film ne manque pas d’allusion à la chose, à commencer par ces plumes à la couleur virginale qui finiront par se teinter de rouge.
Mais cette apparence cache un film féministe. Il dénonce rien de moins que l’assujettissement des femmes au bon plaisir des hommes. Une dénonciation qui trouve sa limite dans l’utilisation qui est faite par le cinéaste de ces images.
Nous retrouvons là un des thèmes majeurs de l’œuvre du cinéaste japonais : la manipulation. Dans Cold Fish la famille de Shamoto passe sous la coupe de Murata tandis que dans Love Exposure, Aya est le bras droit du leader d’une secte religieuse. Ici, Mitsuko n’est pas maître de son destin, passant l’essentiel du film à être manipulée comme une marionnette.
Ce pouvoir immanent dont elle est la victime prend la forme de la menace fantôme, ce vent divin venu du ciel dans la scène d’ouverture, qui est filmée en utilisant des caméras montées sur des drones. Ces vues aériennes font parties des plus réussies du film et leur utilisation participe au dynamisme de la mise en scène ; le moyen de déplacement le plus utilisé des personnages étant la course afin d’échapper au carnage. Elles participent aussi à la création de cet univers, en lui donnant une troisième dimension plus marquée.
Tag a été projeté lors de la XXIè édition de l’Etrange Festival (2015).




