Tai Chi Zero
Singulier destin que celui du « Cornu » ; Lu Chan, né avec une bosse sur le front, devient un combattant hors norme, presque démoniaque, lorsqu’on lui assène un coup sur celle-ci. Ce talent qu’il semble lui-même ignorer (il perd conscience à la suite de chaque explosion de rage), exploité par un maître de guerre qui l’a recueilli au décès de sa mère, est cependant en train de le tuer : si sa corne, déjà violacée, se teinte de noir, s’en sera fini pour lui. Aussi si Lu Chan s’est promis de se vouer aux arts martiaux, un médecin lui recommande d’apprendre le kung fu intérieur, que l’on enseigne au village de Chen, pour compenser la violence de son talent. Lu Chan se rend sur place et essuie le refus de Yu Niang, fille du maître Cheng qui se fait l’écho de la tradition locale, de transmettre ce savoir à un étranger. Borné et un peu simplet, Lu Chan se fait rosser mais revient sans cesse à la charge. Revenu au village alors que notre héros y faisait ses premiers pas, Fang Ji-Zing renoue pour sa part avec Yu Niang, son amour de jeunesse. Fort de son diplôme d’ingénieur importé d’Angleterre, le jeune homme doit convaincre les villageois d’accepter le progrès, et de faire place au passage du chemin de fer. Mais au village de Cheng, on n’enseigne pas plus aux étrangers, que l’on souhaite apprendre d’eux...
Marchant sur les traces de Detective Dee (mais aussi celles, un peu plus effacées, de Kung Fu Hustle), autant qu’il profite de la mode des biopics des maîtres en arts martiaux, Stephen Fung, ancienne endive devant la caméra (Gen-X Cops, Sunshine Cops, et plein d’autres films avec « Cops » dans le titre) qui passe depuis quelques années régulièrement de l’autre côté de l’objectif, trouve avec Tai Chi Zero un sympathique terrain d’expression pour un talent que l’on n’imaginait pas forcément. Fantaisie censée être basée sur la vie d’un authentique maître en Tai Chi, ce premier opus d’un diptyque emballé en 2012 trouve dans l’imagerie Steampunk une cohérence presque subtile, de design et de discours, autour de la confrontation entre tradition et modernité qui a fait le sel de bon nombre de fresques martiales HK – au premier rang desquelles la saga Il était une fois en Chine – et qui s’incarne de plus ici dans une mise en scène anachronique, nourrie de vidéo-ludisme et ultra-référentielle.
Pour être certain que son référentiel soit abordable par tout le monde, Stephen Fung va jusqu’à introduire chacun de ses protagonistes par un carton donnant non seulement le nom de son interprète, mais aussi son pedigree : cela permet au néophyte de savoir que le héros est incarné par un ancien champion olympique de Kung Fu, que Xiong Xin-Xin est célèbre pour sa contribution à l’édifice Il était une fois en Chine, ou encore qu’Andrew Lau n’est autre que le réalisateur d’Infernal Affairs. Seules Shu Qi (prêtant brièvement sa beauté à la mère du héros) et Angelababy semblent ne pas nécessiter d’introduction... Fung matérialise les pensées à l’écran, les noms des lieux ; explicite aussi, par le biais de traits numériques soulignant les déplacements, les points d’appui et les équilibres, les mouvements du Tai Chi, autant qu’il matérialise les barres de vie de certains protagonistes à l’écran, tel Scott Pilgrim avant lui. Tout ceci construit un anachronisme dynamique, que viennent compléter les machines à rouage et vapeur du film – et notamment Troy No 1, étonnante machine à poser les voies ferrées (dont la première apparition évoque à mes yeux 20th Century Boys), que Fang Ji-Zing va dresser contre les siens, afin de donner naissance à l’antagonisme humain au cœur du diptyque.
Il résulte de cette identité, visuelle et narrative, une inertie très agréable, qui construit intelligemment un film d’ « origines », qui a le mérite de n’être ni un « reboot », ni une « préquelle » opportuniste, mais bien une œuvre originale, et qui, même en tant que moitié d’un tout, se suffit presque à elle-même. Je dis bien presque, car ses tics visuels, s’ils lui confèrent vitesse et identité, empêchent aussi Tai Chi Zero de se défaire de cette impression de gigantesque teaser pour le second opus (sur lequel on compte forcément beaucoup), d’autant qu’il ne prend presque jamais le temps de ralentir pour profiter pleinement des chorégraphies de Sammo Hung. C’est un peu dommage, certes, car le film est très justement dimensionné, en moyens comme en ambitions, et il s’en serait juste fallu de personnages et combats un poil plus posés. Mais Stephen Fung, assisté d’un casting bien choisi – Angelababy est charmante, et Jayden Yuan remplit béatement son rôle de copiste martial - parvient tout de même à taquiner certains Tsui Hark, et, surtout, à transmettre un véritable plaisir de gosse.
Tai Chi Zero, comme sa suite Tai Chi Hero, est disponible en DVD et Blu-ray dans l’hexagone chez Wild Side.
Remerciements tardifs à Benjamin Gaessler et Wild Side.






