Taxi Hunter
Le cinéma social selon Herman Yau.
Ce n’est pas la première fois dans les pages de Sancho, que nous précisons combien Herman Yau est un homme versatile, trublion extraordinaire capable de la plus familiale mièvrerie comme de la pire engeance exploit’. Derrière bon nombre de ses oeuvres, aussi disparates soient-elles, un point commun : la préoccupation du bonhomme pour ses contemporains et la société qui l’entoure. Qu’il adapte des histoires vraies (The Untold Story), fasse du pied au gouvernement (From the Queen to the Chief Executive), s’intéresse aux cultures urbaines (Give Them a Chance), à l’emprise des loan sharks sur l’ex-colonie (Shark Busters), à la prostitution (Whispers & Moans) ou encore au laisser-aller sanitaire et au prix de la viande (Ebola Syndrome), Herman est un réalisateur social. Taxi Hunter, succès populaire certain de l’an 93 de notre seigneur, en est une bien belle illustration, symptomatique du réalisateur par bien des aspects. Son point de départ ? Une grève des chauffeurs de taxi qui, à l’époque, avait mis la population en émoi. A la lecture des lignes qui suivent forcément, imaginer un réalisateur français adopter une telle position après les grèves de 1995 est difficile, mais tient tout de même du doux rêve humide...
Il y a deux films dans Taxi Hunter ; le premier, court et sans véritable intérêt, est celui présenté initialement via le personnage de flic foireux de Ng Man-Tat, en planque inactive dans le but de coincer quelque braqueur. Piégé par un faux chauffeur de taxi (ça commence), de mèche avec des voleurs, Ng Man-Tat réchappe d’une fusillade mais son collègue s’en prend une dans le derrière. Heureusement, Chung (impayable Yu Rong-Guang) veille au grain façon Ray Tango, n’hésitant pas à flinguer tout ce mauvais petit monde à bout portant. Nous en déduirons simplement que le bonhomme n’aime pas la paperasse, car la scène n’a que peu d’intérêt pour l’histoire à venir, si ce n’est de faire du surnommé "Fireball" le nouveau partenaire de Ng Man-Tat. Pas plus significative non plus, la présentation de notre héros Ah-Kin, merveilleux Anthony Wong en mode hubby, meilleur vendeur d’assurance de sa société sur le point d’être promu. Un homme pour qui tout va pour le mieux, puisque sa femme attend de plus un bébé. Oh joie. Place maintenant au second film dans le film.
Tout commence à dérailler lorsqu’Ah-Kin est racketté par des chauffeurs de taxi qui provoquent volontairement un accident. La suite est tellement belle que les mots me manquent. Tout va bien donc, mais, un soir, il se met à pleuvoir (Mel Brooks vous le dira, c’est toujours un signe). La futur maman commence à avoir des douleurs abdominales. Ah-Kin appelle un taxi. Celui-ci arrive, mais part finalement avec un client plus généreux. Le couple se retrouve dans la rue, sous la pluie, et la femme se met à saigner abondamment. Un autre taxi passe dans le coin, mais le chauffeur refuse de maculer sa voiture. Il referme violemment sa portière pour chasser les indésirables... coinçant la nuisette de la femme, trainée dans la rue sur plusieurs mètres. Et personne à l’hôpital ne pourra les sauver, elle et son fils. Cette fois c’en est trop : les chauffeurs de taxi, engeance misérable de nos sociétés urbaines, doivent payer.
Avouez qu’il y a de quoi être heureux. Anthony Wong, gentil futur papa gaga, qui s’inflige un programme de fitness pour partir en croisade contre les chauffeurs de taxi, l’arme au poing... N’allez pas pour autant imaginer l’Ebola Syndrome de la loi du talion, car Taxi Hunter fait partie des oeuvres à peu près grand public de la filmographie de Herman Yau. Un édifice très teinté d’exploitation, c’est certain (Ah-Kin dessoude tout de même allégrement du chauffeur), mais globalement équilibré dans son instabilité, naviguant entre le sérieux et le... moins sérieux. Ainsi Ng Man-Tat est-il en roue libre du début à la fin du film, Athena Chu sans consistance (mais toujours charmante), Yu Rong-Guang bien figuratif, et les chauffeurs de taxi globalement dépeints comme la pire des mafias, la lie de l’humanité. On passe tout le temps du drôle au sérieux, sans être jamais dans l’extrême, non seulement parce que Herman connaît la formule, mais surtout parce que Anthony lui, est un pivot incroyablement régulateur, gyroscope schizophrène à même de rendre Taxi Hunter crédible. Jamais ridicule ni trop brutal, il incarne un William D-Fens Foster light, plutôt bien intentionné, avec ce talent insolent qui l’a toujours caractérisé. Et si le film nous laisse un peu sur notre faim, son personnage vengeur lui, garde une place d’honneur dans notre petit cœur de spectateur, incrédule face à un tel écho de mécontentement populaire.
Taxi Hunter à mon avis, ne peut se savourer qu’en VCD Universe, traduit à l’aveugle par une armée de mal-entendants.


