The Baby Factory
L’usine à bébés, c’est le surnom de la maternité publique Dr. Jose Fabella Memorial Hospital à Manille, la plus occupée au monde. Plus de 20% des enfants de la capitale philippine y voient le jour – l’accouchement y est gratuit, à l’exception d’éventuels soin néonataux -, au rythme d’une centaine de naissances quotidiennes. Les salles de travail, collectives, multiplient les accouchements, à la chaîne, tandis que les salles de repos voient les mères, par dizaines, partager leurs lits. Sarah est infirmière dans cette usine de la vie, et Eduaro W Roy Jr., élève du scénariste Armando Lao (Serbis, Kinatay), se propose de la suivre ainsi que ses collègues, la veille de Noël, mêlant la vie de l’hôpital à celle de son héroïne, entre préparation du spectacle inter-services et complexité sentimentale.
Singulier projet que ce voyage nimbé de pleurs infantiles, panorama de maternités diverses et d’abnégations. Entre la fiction façon telenovela et le documentaire, Eduardo W Roy Jr. investit la maternité Fabella avec son équipe de tournage, immisce ses actrices, infirmières et mères, au sein de la vie de l’hôpital, scénarisée autour de cette enivrante réalité médicosociale. On y découvre la réalité de Manille, catholique fervente et donc peu avenante envers la contraception, avec ses mères de treize enfants, ses jeunes mamans d’à peine 13 ans… Le réalisateur y brouille les frontières du cinéma, assistant à de véritables accouchements, révélant progressivement les dimensions et rouages de ce lieu, paradoxalement calme, dont il s’est employé à amplifier l’ambiance sonore.
Par le truchement de la fiction dans le réel, Eduardo W Roy Jr. nous présente la maternité – la condition, et non le lieu - sous toute ses formes – une joie, un fardeau, une douleur, une hésitation -, leur confrontation en si grand nombre donnant naissance à de très beaux fragments d’humanité. Ainsi la jeune Cathy, 16 ans, dont le premier enfant est en soin néonataux pour cause d’imperforation anale, donne-t-elle son lait à une mère qui, pour son petit treizième, est à sec. C’est avec beaucoup de considération que le réalisateur observe cette femme, meurtrie par l’extinction partielle de la capacité maternelle ; et tout autant sa gratitude envers cette adolescente qui pourrait être sa fille, et dont elle offre le prénom à son propre nouveau-né.
Son regard est tout aussi délicat lorsqu’il observe une jeune femme, sans le sou, abandonner à contrecœur son enfant à l’hôpital, ou une détenue bouillonner de ne pouvoir, menottée, saisir son bébé. A son image, Sarah, vecteur principal de la narration incarné avec simplicité par la charmante Diana Zubiri, s’implique dans chaque incident, dans le calme et l’abnégation. Alors que le réalisateur présente progressivement ses propres problèmes, d’employée, certes, mais surtout de femme et mère en devenir, il évite soigneusement de jouer le jeu des séries hospitalières occidentales, où le personnel se dispute sans cesse avec le professionnel, toile de fond à laquelle on peut participer tout en baignant dans un certain égocentrisme. Sarah, elle, n’est pas capable de double-emploi ; et si The Baby Factory s’ouvre avant tout aux autres, c’est uniquement parce qu’il emprunte le regard de l’infirmière, longtemps capable de cette ouverture. Lorsque, les émotions s’accumulant, elle ne parvient plus à se placer au second plan, Sarah guide donc le film, dans ses derniers instants, plus loin des autres, dans le silence pesant du choix le plus compliqué qu’une femme puisse faire, subtilement suggéré par la mise en scène.
Le directeur de l’établissement a déclaré que The Baby Factory serait le premier et dernier film à y être tourné ; pourtant la maternité Fabella y est montrée sous un jour positif. On sursaute, un peu, à la compréhension de la stratégie de l’hôpital, qui ne donne l’accès aux enfants en néonat qu’aux couples ayant acquitté leurs dettes, mais le tableau de cette usine n’est pour autant jamais critique ou exclusivement social, lui préférant l’humain et l’émotion, sans atermoiement, pour rouages.
The Baby Factory a été présenté en compétition au 14ème Festival du Film Asiatique de Deauville (2012) , où il a remporté le Prix du Jury.





