Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Japon

The Frame

aka Hasen no Malise - Hasen no Marisu | Japon | 2000 | Un film de Satoshi Isaka | Avec Hitomi Kuroki, Takanori Jinnai, Akira Shirai, Saburo Shinoda, Takeo Nakahara, Atsuo Nakamura, Naomi Akimoto

The Frame débute sur un plateau télé, au cours du créneau 21h00 - 22h00 d’une grande chaîne de télévision, dans les coulisses de laquelle règne une certaine panique : Yoko Endo (Hitomi Kuroki) est toujours en train de monter son épisode de "Probe" ("Sonde" - une émission policière sensationnaliste) de la semaine, alors que la diffusion doit avoir lieu à peine quelques minutes plus tard. Jouissant d’une liberté totale auprès de son producteur grâce à sa réputation de journaliste instinctive, Yoko s’offre le luxe de sauter toutes les étapes de validation traditionnelles avant de diffuser ses "créations" : ici, sous le regard ébahi de son assistant, Yoko insère une très courte séquence montée à l’envers dans le cours de l’émission, dans l’intention d’illustrer sa propre thèse de la culpabilité d’une femme dans l’assassinat de son mari.

Quelques semaines plus tard, l’ensemble des médias est tombé en masse sur les producteurs de Probe et leurs techniques éhontées de dénonciation, mais il se trouve que la jeune femme avait vu juste dans l’affaire "du professeur" dont elle a manipulé la lisibilité - ce qui termine de la rendre proprement intouchable. Yoko reçoit alors un coup de fil d’un homme travaillant au Ministère des Postes et Télécommunications qui déclare vouloir la rencontrer au sujet de la mort d’un homme politique avec lequel il travaillait, et qui serait loin d’être accidentelle. Yoko accepte, et se voit remettre une cassette DV montrant un homme suspect suivant le récent défunt. Fidèle à son instinct, Yoko se permet donc de monter le footage illicite de façon complètement biaisée, transformant le sourire incongru - car tiré hors de son contexte - d’un certain Aso Kimihiko (Takanori Jinnai), à la sortie d’un interrogatoire de routine, en preuve de sa culpabilité. Pour Aso, les conséquences de ce montage ne tardent pas à se faire ressentir : il perd son emploi, sa femme le quitte, et il est dénigré par l’ensemble de ses amis - tout ça, bien sûr, avant même que la Police l’ait déclaré coupable de quoique ce soit, et sans la moindre véritable preuve. L’homme brisé se met à harceler Yoko, de plus en plus violemment. Et qui est donc cette personne qui vient la filmer jusque dans l’intimité de son appartement ?

Avec The Frame, Satoshi Isaka continue son exploration du pouvoir de l’image commencée en 1997 avec l’excellent Focus, qui mettait en scène un Tadanobu Asano version "nerd" aux prises avec un reporter dangereusement manipulateur. Si Focus s’intéressait à une invention de l’information en live, The Frame se penche sur sa ré-interprétation au niveau du montage. Le titre anglais du film traduit bien la richesse ambiguë du sujet qu’il traite : avec une approche policière, "to frame someone" se traduit par "faire porter le chapeau à quelqu’un" - d’où le nom dérivé ; tandis qu’en langage cinématographique il signifie "le cadre". Le propos de Satoshi Isaka est ici de réunir ces deux significations et de les rendre indissociables.
Il existe des thèses qui soutiennent que la réalité est insaisissable dés lors que l’on essaye de l’analyser, étant donné que le regard de chacun la modifie en temps réel (thèse reprise récemment avec un humour diablement intelligent dans The Man Who Wasn’t There / The Barber des frères Coen). Ici, cette déformation du réel par le regard se fait en plusieurs étapes ; chacune constituant un maillon de la chaîne de l’information télévisuelle.

La première étape se situe au niveau des images filmées : la réalisation en elle-même, par ses jeux de zooms et de cadrages, opère déjà une interprétation de l’information, mais aussi un tri qui peut être aussi bien volontaire qu’inconscient. Comment être certain qui plus est que ce qui est filmé l’est réellement indépendamment de la présence de la caméra ?
La seconde étape intervient au moment crucial du montage. Plus perverse, elle est exclusivement consciente car elle résulte d’un choix d’orientation du discours. La sélection des images retenues, mais aussi le rythme et l’ordre de leurs successions sont autant d’outils qui aboutissent à une vision unique de l’information qui ne peut en aucun cas être proprement objective.
La troisième étape, enfin, c’est le spectateur qui en est l’outil, par son désir de crédulité, rarement remis en question. Et le regard qu’il pose après visionnage sur le sujet originellement regardé par la caméra de modifier celui-ci de façon bien réelle.

Les personnages de The Frame se situent tous plus ou moins volontairement au niveau de l’une ou l’autre de ces étapes, ce qui contribue à rendre l’intrigue du film - insaisissable dans son véritable objectif narratif avant les toutes dernières minutes - véritablement passionnante. Mais le centre de The Frame, et son principal atout, c’est bien le personnage de Yoko Endo, qui se situe au carrefour des trois étapes de la chaîne de cette désinformation. Sa définition en tant que personnage "mis en scène" se fait par le même jeu de sélection des informations, qui finit par rendre le hors-champ de sa vie aussi important que tout ce qui se déroule sous nos yeux - peut-être même plus encore. Car, finalement, n’est-ce pas dans le hors-champ que la grande majorité des images, quelle que soit leur nature, prennent tout leur sens ?

The Frame réussit cet exploit de faire intervenir le champ et le hors-champ sur un même niveau narratif, intervertissant leur intérêt respectif au cours d’une intrigue essentiellement sémantique, construite autour du langage complexe de l’image télévisuelle. Et Satoshi Isaka de nous infliger la construction/déconstruction de son personnage avec la même distillation biaisée, pour mieux, au bout du compte, nous laisser nous apitoyer sur notre statut inévitable de spectateurs passifs : croyez-moi, vous n’y échapperez pas plus qu’un autre !

The Frame est disponible en DVD au Japon chez Pioneer (AEBD-10006), en copie 16:9 impeccablement sous-titrée en anglais (ou pas). La bande-son en stéréo est tout aussi parfaite que l’image.
Pas mal de suppléments (sans sous-titres) : interviews, making-of, bande-annonces, filmographies.

- Article paru le mercredi 19 décembre 2001

signé Akatomy

Japon

Le couvent de la bête sacrée

Indonésie

Toilet Blues

Japon

Kazuhiro Soda : Théâtre 1 / Théâtre 2

Japon

Satorare : Tribute to a Sad Genius

Corée du Sud

Virgin Stripped Bare By Her Bachelors

Corée du Sud

Tell Me Something

articles récents

Hong Kong

Life Is Cheap... But Toilet Paper Is Expensive

Japon

La Harpe de Birmanie

Japon

La Vengeance de la sirène

Japon

Le Pavillon d’or

Chine

Les Feux sauvages

Japon

Cruel Gun Story