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Japon | Festival des 3 Continents 2012

The Friends

aka Summer Garden – 夏の庭 - Natsu no Niwa | Japon | 1994 | Un film de Shinji Sômai | Avec Rentarô Mikuni, Chikage Awashima, Akira Emoto, Naoki Sakata

L’un des évènements de la 34ème édition du Festival des 3 Continents, qui vient de s’achever à Nantes sur le triomphe, critique et public, de Wang Bing et de ses Three Sisters, était indéniablement la diffusion de l’intégrale des films du réalisateur japonais Shinji Sômai. Très apprécié en son pays, Sômai reste méconnu du public français, seul Typhoon Club (1985) ayant connu une sortie en salles dans l’hexagone en son temps. Par souci d’ouverture, nous n’avons pu nous rendre à la projection de chacun de ses films, nous intéressant aussi à la sélection en compétition, ainsi qu’à quelques lacunes à combler du côté de la Milkyway de Johnnie To ; néanmoins, nous avons pu effectuer un grand écart entre son second et son dernier film – Sailor Suit and Machine Gun (1981) et Kaza-Hana (2000), respectivement -, avec un détour du côté du merveilleux The Friends. Excursions fantastiques présentées par le distingué Koji Enokido, assistant-réalisateur de Sômai, qui a su chaque fois donner un contexte aux œuvres projetées, et livrer quelques anecdotes sur leur tournage.

The Friends, donc, moins volage que l’incroyable Sailor Suit and Machine Gun, moins crépusculaire que le sublime Kaza-Hana, conte l’histoire de trois garçons gentiment marginaux. Un jour que l’un d’entre eux revient d’un enterrement, les garçons entament une singulière discussion autour de la mort, qui les attire autant qu’elle les effraie. L’un d’entre eux notamment, ressent la confrontation à la mort comme un appel du vide ; aussi lorsque sa mère lui parle d’un vieil homme, vivant reclus dans sa maison au cœur d’un jardin en friche, certainement sur le point de casser sa pipe, les enfants se mettent à l’espionner dans l’espoir de satisfaire, en direct, leur curiosité morbide. Sauf que le vieil homme est bien vivant, et qu’il se noue d’amitié avec les trois écoliers, qui consacrent leurs vacances d’été au rafraichissement de son jardin et de sa maison délaissés.

Faire la rencontre de Shinji Sômai, c’est côtoyer un cinéma d’une richesse éblouissante, très attaché au passage à l’âge adulte, à la transformation et la renaissance ; collision atypique du commercial et du personnel, constamment cohérente dans l’omniprésence du plan-séquence, l’emprise de la nature et le jusqu’au-boutisme de l’incarnation. En amont de la projection de Sailor Suit and Machine Gun, Kiyoshi Kurosawa himself racontait comment, lors du tournage de l’une des séquence-clé du film, sur lequel il était jeune assistant, il avait échoué dans ses attributions qui consistaient à s’assurer de la sécurité de l’actrice du film, la superstar Hiroko Yakushimaru. Trop prête de verres qui explosent au cours d’un rapide échange de coups de feu, la jeune femme fut blessée au visage mais Kurosawa n’interrompit pas la prise. Bien lui en prit : la scène, improbable extase d’une jeune fille qui s’abandonne à la violence, est transcendée par ce filet de sang inopportun, qui achève de tacher son innocence. Si l’on en croit les mots de Messieurs Inokido et Kurosawa, Sômai aimait que ses acteurs vivent ainsi, dans un certain danger, l’aventure du tournage comme leurs protagonistes celle du film.

L’un des plans les plus marquants de The Friends illustre parfaitement cet aspect du cinéma de Sômai : au début du film, lorsque « Lunettes » explique son attirance pour la mort en marchant sur le parapet d’une terrasse surplombant la circulation urbaine, le plan-séquence du réalisateur survole lui aussi le vide pour démontrer la réalité de l’instant, souligner le risque pris par l’acteur/le protagoniste autant que par l’équipe du film. On est presque reconnaissant envers les effets spéciaux de l’époque, incapables de dissimuler complètement le câble qui sécurise, un peu, le jeune garçon ; mais cette ligne de vie n’atténue en rien la puissance de la scène, qui justifie à elle seule l’enjeu de The Friends : faire face à ses peurs pour confronter la mort, vivre une expérience pour s’affirmer et grandir.

Initié par cette étincelle de morbidité, The Friends devient toutefois rapidement plus léger. Une fois la vitalité du vieil homme affirmée, celle-ci se communique aux enfants qui, oubliant leur objectif premier, s’efforcent de redonner vie à son jardin comme à sa maison. L’été passe et les enfants s’épanouissent dans une assistance dévouée ; toutefois lorsque la réfection « matérielle » est achevée, ils s’attachent à un chantier plus émotif et psychologique – le pourquoi du comment de la solitude du vieil homme. La mort réaffirme alors son emprise sur le métrage, sans fard ni emphase, au travers du traumatisme de la guerre, mais The Friends n’en devient jamais pour autant funeste, puisant au contraire dans l’horreur et l’inexorable une nouvelle étincelle de vie.

C’est là la grande force de Shinji Sômai, qui n’infantilise jamais ses protagonistes, sait embrasser, dans le réalisme comme dans la poésie, leur capacité d’apprentissage et d’adaptation, et faire ressentir leur expérience au spectateur. Les plans-séquences qui définissent le cinéma de Sômai sont le principal vecteur de cette transmission. Privilégiant la fluidité visuelle à la manipulation du montage, le réalisateur offre à comprendre plus qu’il n’explique. S’il n’hésite pas à encombrer le champ de ses travellings, de végétation principalement, plutôt que d’interrompre sa narration, cette particularité, décelable aussi bien dans Sailor Suit and Machine Gun que dès les premières images de Kaza-Hana, trouve dans l’histoire de The Friends une merveilleuse connivence : dans la première partie du film, les herbes hautes de ce jardin d’été perturbent constamment et très naturellement l’espionnage des enfants, la forme épousant alors parfaitement le fond.

Drôle et émouvant, The Friends parvient à allier légèreté et profondeur, à épouser la complexité de l’humain en empruntant le point de vue de l’enfance, capable, dans sa naïveté, de teinter toute chose de la vie de merveilleux et de fantastique (même la séquence se déroulant dans l’aile abandonnée d’un hôpital prend des allures d’initiation au cinéma d’épouvante). Véritable trésor du patrimoine cinématographique, japonais et mondial, que les parisiens chanceux pourront à leur tour découvrir à l’occasion de la reprise de la rétrospective à la Cinémathèque du 12 décembre au 8 janvier prochain, le cinéma de Sômai, à cheval entre plusieurs générations de l’image narrative, jonction fantastique de la tradition et de la modernité, incarnation délicate et enlevée de l’apprentissage et de la rencontre de soi, au travers des autres et de leur histoire, est un merveilleux cinéma de l’héritage.

The Friends, diffusé au cours de la 34ème édition du Festival des 3 Continents (Nantes, 2012) dans le cadre d’une intégrale de l’œuvre de Shinji Sômai, n’est malheureusement pas disponible en DVD, mais les curieux peuvent se le procurer en VHS (sans sous-titres), ref. PCVX-30351.

- Article paru le vendredi 30 novembre 2012

signé Akatomy

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