The Lovers
C’est l’histoire d’une jeune fille... C’est l’histoire d’une catastrophe donc. Elle est issue d’une famille dont les racines se plongent dans la nuit des temps en Chine et dans sa terre, puisque la fortune familiale provient de la transformation des plantes. Il ne s’agit pas du monde agricole, mais plutôt de celui de l’artifice : chez les Chuk, on fabrique des pigments pour égayer le visage, des mixtures pour préserver une éternelle jeunesse ! Il ne manque qu’une affiliation avec le clan impérial pour que la famille atteigne le bonheur ultime... Et la reconnaissance sociale absolue ! Et, comme dans tous les beaux contes, il y a une princesse à marier. La fleur n’est malheureusement pas encore éclose, et il est décidé d’un "commun accord", dont elle est écartée, qu’elle partira accélérer sa formation de jeune-fille-bien-élevée-du-grand-monde-qui-le-doit-bien-à-ses-parents-après-tout !
Comme dans pas mal de pays au 5e siècle après JC, les étudiantes ne sont pas lot commun, et les institutions exclusivement réservées aux garçons. C’est donc accompagnée de 10 serviteurs et de sa femme de chambre que la jeune femme rejoint son collège. Elle y entre déguisée en garçon, comme sa mère l’avait fait à son époque. C’est la seconde période du film, toute dédiée à la fraîcheur et à la camaraderie. La jeune Chuk Ying-Toi prend goût à une vie en société qu’elle ne pouvait imaginer jusque là, ancienne recluse d’un palais hiératique. Sans trop rentrer dans le détail puisque qu’il s’agit tout de même d’images qui bougent et qu’il faut les voir, à un moment ou à un autre : tout de suite par exemple, vous pourrez entre exercices de calligraphies et cours de musique, réviser votre éventail de grimaces et votre sens de l’amitié.
Parce que c’est une femme qui dirige l’établissement, son imposture est vite découverte... et protégée. Et puisqu’il ne faut pas que les étudiants le sachent, un traitement de faveur lui est réservé. Au lieu de dormir en dortoir, la jeune femme a l’autorisation de s’installer parmi les centaines de rouleaux de la bibliothèque pour dormir. Et parce qu’il est pauvre, Leung Shan-Pak, notre héros masculin (un vrai celui là !) en a fait son refuge pour travailler et rattraper ainsi le temps qu’il passe à accomplir certaines corvées pour la communauté.
Une amitié exclusive naît entre les deux jeunes étudiants Es-Confucius. Ils dorment ensemble et respectent leur espace vital par des procédés franchement excentriques et désarmants. C’est é-mou-vant, terriblement ! Ils révisent ensemble, bref ne se quittent plus. Nous non plus, là on est en plein dedans ! Chaque événement dramatique inspiré par la dure et rigide éducation qu’ils reçoivent est une nouvelle occasion de sceller leur complicité. Lorsque Chuk Ying-Toi se fait punir à la place de son ami, il lui jouera durant toute sa pénitence son morceau favori de musique pour lui alléger sa peine... Brouh, c’est beau quand même tout ça !!
Mais comme dans toute bonne tragédie qui se respecte, et bizarrement comme dans la vie aussi - tiens tiens il faudra que je revienne un jour pour vous livrer mon analyse de ces moments forts de catharsis ultime - c’est la séparation obligée des protagonistes de ce drame intemporel qui leur permet de se déclarer l’un à l’autre...
Pas question pour moi de me livrer à un exposé sur le palmarès des acteurs ou du réal... Ils ne m’ont jamais été présentés personnellement et je ne pourrais rien vous apprendre de plus que ce que vous pourrez lire partout ailleurs. Par contre essayez de m’arrêter sur l’avis que j’ai de cette œuvre cinématographique ! Défi !!
Impossible de résister aux couleurs des images dès le générique ! Traversée de la campagne chinoise en pleine fleuraison, arrivée dans ce petit palais par le jardin arboré, survol des petits pavillons, coursives jusqu’au cœur de la vie de la maison : une jeune fille sur un toit, souriant à la vue du bonheur que nous venons de voir par ses yeux. A côté d’elle, un précieux bocal contenant ses inséparables amis : des papillons ! Elle est aussi légère qu’eux lorsqu’elle est perchée sur son toit ! Mais au sol, c’est une autre paire de manches. Au cas où nous ne l’aurions pas compris, Monsieur Tsui Hark accentue encore cette impression d’emprisonnement de la jeunesse par une de ces si particulières et prisées tortures chinoises : on lui attache les pieds l’un à l’autre par une cordelette pour qu’elle apprenne à se déplacer comme une rigide femme de palais. Rien de tel qu’un peu de burlesque lourd pour nous attacher à ce personnage rebelle !
Les papillons font en fait référence à un film d’opéra de la fin des années 50 inspiré d’une célèbre légende chinoise : The Butterfly Lovers. Il nous faut donc un personnage masculin : difficile du reste de trouver mieux que ce jeune homme de condition modeste, courageux, studieux et extrêmement dévoué à ses amis. Mais pas plus en Chine à cette époque qu’en France sous Louis XIV, de telles vertus ne sont reconnues. Il faut être né. Il ne l’est pas, et on ne va pas manquer de le lui rappeler. Je ne pense pas pour autant que la critique sociale soit le seul centre d’intérêt de ce film... Même si elle est toujours aussi révoltante. La critique familiale l’est au moins tout autant. Finalement qu’un père soit psychorigide et qu’il conduise sa fille sur l’autel de la raison sociale, rien de bien nouveau. Mais l’actrice qui joue le rôle de la mère est tout à fait bouleversante. Elle montre à plusieurs reprises le long du film qu’elle comprend très bien ce qui est en train de se passer. Mais elle a fait le choix du mariage de convenance pour elle, et le fait donc tout aussi facilement pour sa fille. On ne peut pas imaginer un seul instant qu’elle puisse aimer un mari si peu cultivé, et si peu éduqué lorsqu’on sait les efforts qu’elle a bien voulu consacrer pour bénéficier de la meilleure éducation. Elle, est raffinée. Et c’est ce qu’elle attend de sa fille : qu’elle renonce comme elle à l’amour pour faire graver de nouvelles lettres de noblesse sur l’écusson familial. Elle s’est endurcie, momifiée même grâce aux onguents vendus par son mari... Mais les apparences sont sauves ! Il suffit de mettre un peu de rouge sur les joues pour faire plus vivant, plus opulent. Esthétique irréprochable donc... Pour cacher de si vilaines âmes.
Les couleurs et les lumières sont donc particulièrement importantes dans ce film. Le fond ne se dissocie jamais de la forme... Jusqu’à cette dernière tempête qui agite et conclue ce film... qui décidément décoiffe, et brise la voix ! Donc je m’arrête là !
Et si vous trouvez que la tentative de critique de ce film est un peu trop uniquement axée sur le personnage féminin, et bien c’est parce que c’est une sanchogirl qui s’en est occupée ce coup-ci ! Merci qui ? Akatomy !


