The Others
Tout est question de point de vue. 2001 était censée être une année marquée sous le signe d’une odyssée spatiale à l’intelligence artificielle, mais je préfère l’observer avec un siècle de recul, à travers le kaléidoscope bleuté que composent les yeux de Nicole Kidman...
De retour de Montmartre, version 1900, et de sa tuerie baroque signée Baz Luhrmann - Moulin Rouge, pour ceux qui ont osé rater cet orgasme cinématographique sous acide - vous êtes invités à repartir au plus tôt vers l’une des îles anglo-normandes, version fin de guerre 39-45, pour découvrir The Others, petit dernier de l’espagnol Alejandro Amenabar. En deux mots, pour ceux qui ne le connaîtraient pas, Amenabar fait partie de la classe des "jeunes réalisateurs qui font des films qui tuent alors qu’ils ont même pas 30 ans et ça vous dégoûte d’essayer de faire du cinéma avec des potes", avec ses petits camarades Fincher, Aronofsky et autres ; je pense que vous voyez le genre...
Réalisateur de Tesis en 1996 et d’Abre Los Ojos en 1997, Amenabar ne se limite pas seulement à la réalisation de ses films : il les écrit également, en compose la musique, et participe sans doute à l’exportation, malheureusement trop faible, du cinéma espagnol à travers le monde. Un exemple : Abre Los Ojos (Ouvre les yeux) s’est ramassé en salles chez nous et a bénéficié d’un accueil enthousiaste mais discret au Festival de Sundance. Il y a pourtant fort à parier que le remake US, Vanilla Sky, produit par Tom Cruise, réalisé par Cameron Crowe, avec Tom Cruise et sa nouvelle compagne TéléStar, j’ai nommé Penelope Cruz, bénéficiera d’une promotion et d’un accueil d’une toute autre échelle...
C’est toutefois de cet intérêt pour le potentiel d’Abre Los Ojos qu’est né The Others, première production américaine signée Amenabar, avec Nicole Kidman. Le film a cartonné aux Etats-Unis cet été, à la surprise générale, sauf celle de ceux qui suivaient Amenabar.
Le film débute sur Nicole Kidman qui se réveille en sursaut, en sueur, et le don d’Amenabar, c’est que ce simple plan, ces premières secondes, suffisent déjà à vous entraîner sur le sentier de son récit, son conte lugubre dans lequel vous allez plonger. Bien évidemment, vous ne le savez pas, et vous ne le saurez sans doute pas avant de sortir de la salle, mais son talent de scénariste allié à celui de réalisateur se trouve démontré dans cette simple entrée en matière, habilement écrite et parfaitement transcrite en images. La maîtrise de l’interprétation du non-dit par le spectateur...
The Others est une histoire de fantômes, comme on savait les raconter à l’époque du N&B, loin de tous les effets spéciaux dont on nous abreuve aujourd’hui. C’est une histoire qui fait peur. Elle ne va pas vous terroriser pendant plusieurs jours, comme Ring ou The Blair Witch Project, mais elle va vous faire sursauter comme il faut. La musique est bien utilisée pour tromper vos réflexes conditionnés aux montées de cordes, et vous aurez beau savoir qu’il ne faut jamais se cacher dans un placard, vous aurez beau le crier aux enfants comme vous le criiez à Guignol dans votre tendre enfance, ça ne vous empêchera pas de faire un bond sur votre siège...
Le travail du directeur de la photographie, Javier Aguirresarobe, est également à noter, car dans cette maison où les rideaux sont souvent tirés afin de protéger les deux enfants, atteints d’une maladie qui les rend sensibles à la lumière, l’utilisation du clair et de l’obscur pour cadrer les personnages est parfois magnifique ; il suffit de jeter un œil sur l’affiche pour en avoir un avant-goût. D’accord, c’est pas The Yards, mais ça le fait quand même.
Seul ombre à ce tableau, la grande interrogation que m’a laissé The Others sur l’avenir d’Alejandro Amenabar. Il est jeune et talentueux, il va sans doute peu à peu se faire connaître du grand public, mais il faut bien avouer que tous ses films se ressemblent. On peut y lire sa patte, sa signature, mais ses trois films ont beau être réussis, ils fonctionnent souvent suivant un même schéma, et l’on peut se demander s’il peut écrire et réaliser autre chose...
Pour l’instant, profitons du présent. Ne manquez pas ce petit bijou, c’est un joli cadeau de Noël qui vous fera réfléchir sur l’art de conter les histoires, et vous plongera dans l’attente du prochain Amenabar...
... bientôt dans les salles obscures !


