The Revenge : A Scar That Never Disappears
Cela fait cinq ans que Goro Anjo a quitté les rangs de la police, devenant lui même hors la loi pour mieux traquer ceux qui ont tué sa femme. Sous le pseudo de Yamamoto, il coule des jours tranquilles entre son travail dans une entreprise de tri de déchets, son amitié insolite avec le chef d’un gang local de yakuza, et sa remontée, violente, d’une chaîne de blanchiment d’argent, en haut de laquelle se trouve le commanditaire de l’assassinat de son épouse. Un jeune détective suit la trace de ses victimes, et parvient à mettre la main sur Anjo, dont les exactions semblent tolérées de façon tacite par ses anciens supérieurs, pour l’inciter à l’aider à traduire les mafieux en justice sans user de violence...
Trois mois à peine se sont écoulés au Japon, entre la sortie de The Revenge : A Visit From Fate et celle de sa suite iconoclaste, A Scar That Never Disappears. Pourtant un monde sépare les deux films : celui de Kiyoshi Kurosawa, qui pour ce second opus a donné de la plume. A Scar That Never Disappears d’une certaine façon, est un peu à The Visit From Fate ce que Dead or Alive 2 est au premier Dead or Alive dans la trilogie de Takashi Miike : un glissement de vecteurs de violence vers d’insolites enfantillages, intermède singulier d’amitié qui détourne momentanément l’iconographie, autant que les protagonistes iconiques, du v-cinéma dans lequel il s’inscrit.
Si A Scar That Never Disappears reprend les blessures de Goro Anjo comme moteur narratif, la trame du film garde la vengeance comme objectif sans pour autant en faire véritablement l’un de ses rouages. D’ailleurs, les meurtres d’Anjo ne ponctuent pas le film mais se contentent d’en incarner les extrémités, et Kiyoshi Kurosawa s’intéresse alors à l’entre deux morts, espace d’inertie existentielle dans lequel Anjo renoue avec une humanité maladroite, se liant notamment d’amitié avec un yakuza auquel il a sauvé la vie. C’est cette relation improbable, compte tenu du passé d’Anjo et de son horreur du crime organisé, qui construit A Scar That Never Disappears, à mille lieux des canons du v-cinéma. En se côtoyant, le plus souvent silencieusement et dans une espèce d’ennui tacite, rempli de non dits, deux humanités limitrophes jouent les gardes fous l’une pour l’autre. Le yakuza renvoie à Anjo l’image d’une violence à laquelle il ne doit pas arriver, trop gratuite, tandis qu’Anjo permet au mafieux de garder le contact avec une réalité plus légère, moins impulsive et destructrice.
Leur relation, bien qu’essentielle, ne saurait être constructive ; pourtant Kurosawa y trouve matière à d’étonnantes expérimentations de mise en scène, comme en témoigne ce stupéfiant plan séquence en voiture au début du film, dans lequel les protagonistes errent sans but particulier, s’arrêtent pour changer de place et se remettre en route, et où l’on comprend qu’il est important pour Goro et son ami de se côtoyer, et non de partager une destination ou une motivation. C’est pourquoi Goro Anjo reste souvent simple spectateur du quotidien des yakuza, dans lequel il puise, en silence et contrepied, la légitimité de sa violence qu’il refuse de transformer en jeu. Du coup, les jeux partagés par les deux hommes sont étonnamment enfantins : des lancers de cailloux par exemple, simplement pour tuer, non pas d’autres hommes pour une fois, mais le temps. Et se reconstruire une part d’innocence.
Lorsque A Scar That Never Disappears renoue avec les scènes d’action de son prédécesseur, Kurosawa retrouve son obsession des travellings et d’une certaine fluidité latérale, autant que la stabilité de certains plans, à l’extérieur desquels se jouent, non sans humour, la funeste fin de parcours de ses protagonistes. Mais avant de rejoindre cinématographiquement cette réussite du v-cinéma classique, ce second The Revenge s’en sera éloigné tout en en transcendant les tendances. La propension à la menace picturale notamment, s’amplifiant le temps d’un plan subjectif de Goro Anjo avançant dans un couloir, tellement teinté de potentiel fantastique qu’il en deviendrait presque hors sujet, s’il ne servait pas si bien l’instabilité relationnelle du héros et de son ami yakuza. A Scar That Never Disappears incarne à juste titre une espèce de cicatrisation de son prédécesseur : tissu cinématographique, fragile et transitoire, à la texture et l’aspect autres, sous lequel le v-cinéma classique, fort de ses figures latentes, attend de se régénérer, son identité retrouvée et renforcée.
Film diffusé dans le cadre d’une rétrospective consacrée à Kiyoshi Kurosawa, au cours de la 31ème édition du Festival des 3 Continents.

