The Rule of the Game
Il est des films que l’on va voir sans aucune appréhension et ce, pour plusieurs raisons, la principale étant que nous ne connaissons ni l’histoire, ni le réalisateur... peut-être la meilleur manière de découvrir un film, les à priori étant l’obstacle principal à toute appréciation objective d’une œuvre cinématographique. C’est donc vierge de toute idée préconçue que nous allons voir The Rule of the Game, film taiwanais faisant partie de la compétition officielle de ce quatrième Festival du Film Asiatique de Deauville...
"Plus on est de fous, plus on rit", surtout à Taiwan...
Turtle et Chewy, deux petits truands, sont dans une forêt en pleine nuit ; ils y creusent un trou afin d’y enterrer un cadavre. Turtle s’est fait avoir par Will, son "partenaire" dans un business douteux, et il compte bien réparer l’affront de la manière la plus radicale possible. C’est sur les conseils du très avisé Chewy, visiblement spécialiste en la matière, qu’ils décident de creuser un trou suffisamment conséquent pour être sûr qu’il n’y ait aucune trace du cadavre... Ox, tueur à gages professionnel et notoirement propriétaire d’un restaurant, est sur son dernier coup avant la "retraite". Il attend patiemment plusieurs jours dans un Karaoke, pour finalement parvenir à achever son contrat de la plus "belle" manière qui soit... Will, sur le point de préparer une autre escroquerie, se fait kidnapper par sa femme, A-Mei, et son gigolo, qui en veulent à sa fortune...
The Rule of the Game est un film étrange ; rien de péjoratif dans cet adjectif, bien au contraire. Etrange car tout en étant linéaire et contemplatif, il nous emmène sans réellement que l’on sache comment, où il veut, et ce d’une manière habile pour ne pas dire subtile. Ces destins croisés, procédé narratif maintes et maintes fois utilisés dans le cinéma contemporain, ont bien entendu tous un rapport, plus ou moins important... mais là n’est pas l’atout majeur de ce film réellement emprunt d’une poésie certaine. Pour ne pas jouer les spoiler, je ne vous dévoilerai rien quant aux véritables aboutissants de cette histoire, surprenants et finalement - selon moi - très beaux, puisque nous renvoyant directement aux obsessions infantiles...
Dans ce monde qui semble dépourvu d’humanité et somme toute assez froid, les histoires d’amours sont avortées, les couples déchirés, la vie violente, bref nos héros sont des désespérés... Ne comptez pas sur la mise en scène ultra soignée de Ho Ping pour vous expliquer quoi que ce soit, à l’image de cette séquence où un enfant est enlevé des bras de sa mère par un homme. Ox, témoin de la scène, se met à le courser, puis lui fait face dans une ruelle... l’enfant a disparu, puis ellipse pour retrouver Ox visiblement très désireux de rentrer chez lui afin de retrouver son fils... Cette séquence est bien entendu analysable de plusieurs façons, et là n’est pas le but de cet article, tout ce que je peux vous en dire n’est qu’un ressenti, une sensation éprouvée lors de sa vision ; Ox, loin de son enfant et ayant assisté à une telle scène, s’est certainement projeté dans une telle situation... Et là se situe le point fort de The Rule of the Game ; des personnages profondément humains, avec tout les sens que cela peut englober, bons comme mauvais, faisant preuve d’une sensibilité "réaliste"... Qui en voyant un accident, une catastrophe, même une mort - que ce soit dans une fiction ou dans la réalité -, ou même des évènements heureux, ne s’est jamais projeté ou imaginé la chose arrivant à un proche, ou même approprié le dit événement ? Ce sentiment est humain, et il est tout à fait légitime...
Ho Ping, réalisateur taiwanais venu du documentaire et de la publicité (deux mondes pourtant aux antipodes l’un de l’autre), réalise en même temps que The Rule of the Game son sixième film. On lui doit The Digger (1988), Honor Thy Father (1990), 18 (1993), Motel Erotica (1997) et Wolves Under a Crying Moon (1997). N’ayant vu aucune de ses oeuvres précédentes, il m’est impossible d’avoir le moindre élément de comparaison... Ce qui ressort de la mise en scène de son dernier film est une sorte de réalisme teinté d’onirisme, un onirisme à la limite du cauchemar voir même du delirium tremens...
Film d’une poésie indéniable qui visiblement, aux vues des réactions du public de Deauville, n’a pas fait l’unanimité, The Rule of the Game prouve en toute simplicité, et d’une très belle manière, que le cinéma taiwanais possède outre HHH de vrais talents qui ne demandent qu’à être appréciés... Encore faut-il faire fi de ses préjugés et de ses peurs refoulées afin de s’ouvrir pleinement à un cinéma on ne peut plus humain...
Si The Rule of the Game parvient à trouver un distributeur, peut-être aurons-nous la chance de le voir en salle, sinon...



