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Taiwan

The Sadness

aka 哭悲 | Taïwan | 2021 | Un film de Rob Jabbaz | Avec Regina Lei, Berant Zhu, Tzu-Chiang Wang, Ying-Ru Chen, Wei-Hua Lan, Lue-Keng Huang, Ralf Yen-Hsiang Chiu, Chi-Min Chou

C’est une chose – et déjà pas des moindres ! - d’adapter certains univers extrémistes de Garth Ennis - Preacher et The Boys - en série télé, c’en est une autre de porter sur grand écran un rejeton spirituel de son projet dégénéré Crossed. Incroyable fresque de pandémie qui transforme hommes, femmes et enfants en pantins dépravés, accros à la violence, au sadisme et à la douleur, terrain graphique de transgressions sidérantes (et pourtant propice au fabuleux spin-off Crossed +100 signé Alan Moore, merveille d’anticipation linguistique), Crossed n’est pas seulement un comics à réserver aux adultes, mais une série qui fait le tri dans son public adulte lui-même, laissant les lecteurs timorés sur un seuil infranchissable. Dans l’idée et le discours, à défaut d’une échelle hors de portée d’un film petit budget, si bien dimensionné soit-il, c’est exactement ce à quoi m’a fait penser The Sadness. « More holes for more poles ! » Les lecteurs du comics comprendront de quoi je parle.

Pour les autres, autant pitcher le film. Le virus Alvin divise les experts (et non, il ne force malheureusement pas les gens à chanter vite et aigu, façon 33 tours passés en 45) : inoffensif pour les uns, menaçant pour les autres, il a tôt fait de départager les sceptiques en transformant les humains contaminés en sadomasochistes souriants, les pupilles dilatées, adeptes de torture, cannibalisme et viol, entre autres réjouissances. Au milieu de tout ça, Jim tente de rejoindre Kat, rescapée d’un massacre dans le métro et poursuivie par un businessman éconduit. Et aux commandes de son premier long-métrage, le canadien Rob Jabbaz, exilé à Taiwan, livre un joli petit film ultra-violent, obscène, sanguinolent et analogique à souhait. De quoi vous laisser la bouche ouverte, et faire le bonheur des systèmes de censure du monde entier. En Allemagne par exemple – unique pays où le film est disponible à la vente pour le moment – seule la vente en ligne est autorisée, le Blu-ray étant interdit de séjour en boutique « physique ». On se croirait presque en Grande-Bretagne en 1983 !

C’est donc auréolé de la réputation de film de zombies (même s’il s’agit plutôt d’enragés, bien vivants) le plus violent de tous les temps, que The Sadness, après un passage par L’Etrange Festival en septembre dernier et Gerardmer en janvier, débarquera en salles en France en juillet prochain. Il est certain que dans son approche de la violence, le film lorgne plus du côté de The Raid 2 que de Romero ou Fulci. Faisant la part belle aux effets traditionnels, le film frappe fort à de nombreuses reprises, et éclabousse allègrement, et pas qu’avec du sang. Vous voilà prévenus. Mais ce n’est pas tant dans la représentation de la violence que The Sadness détonne, que dans le moteur de celle-ci, dans les appétits carrément limitrophes qui la mettent en branle. Certains se contentent d’être énoncés – mais on imagine bien la réaction d’un producteur à la lecture d’une telle continuité dialoguée ! -, d’autres sont explicités à l’écran, et tous transgressent, sans ambages et avec cet enthousiasme incarné fièrement par le rictus des contaminés, le consensus moral, le foulent au pied avec entrain.

Bien malin Rob Jabbaz, de circonscrire son récit d’infection, de le resserrer autour de Jim, Kat, et le poursuivant de cette dernière. Les ruelles étroites de Taiwan qui servent de cadre au démarrage du film permettent aux lacunes budgétaires de rester hors-champ, même si on a tôt fait de déceler dans l’intelligence de la restreinte visuelle un certain manque de moyens. The Sadness est un film qui ne se joue qu’en quelques actes et aussi peu de protagonistes et c’est tant mieux, car ses tentatives d’élargissement sonnent faux (le discours gouvernemental qui tourne mal n’est pas très rythmé, et son design fait étonnamment cheap comparé au reste du métrage), et certaines scènes durent un peu trop longtemps. Néanmoins les acteurs sont globalement excellents (si l’on excepte le bémol que constitue l’un des personnages phares de la dernière partie du film) et la volonté de nuire tellement enjouée que The Sadness atteint aisément sa cible, et la réduit forcément en bouillie. On pourrait presque regretter la facilité du générique de fin sur fond de death metal, overkill en matière de conscience de soi dans le domaine du cinéma dit « extrême », mais qu’importe : si la déchéance humaine enjouée est votre came, et que vous avez la chance de pouvoir voir The Sadness sur grand écran au moment de sa sortie, n’hésitez pas. C’est un film inhabituel, excellent et spectaculaire, dans la forme comme dans le discours... Taiwan ne nous avait pas habitués à une telle impertinence ! Prends ça, Xi Jinping !

The Sadness sortira sur nos écrans le 6 juillet 2022. Il est par ailleurs disponible en Blu-ray Ultra HD, dans une copie magnifique, en Allemagne (avec sous-titres anglais), chez Capelight Pictures.

- Article paru le jeudi 28 avril 2022

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