The Untold Story
Au milieu des années 80, de nombreux amateurs d’images extrêmes, lassés par l’enlisement de la production occidentale et toujours en quête de nouvelles sensations, se tournèrent vers le cinéma hongkongais. A cette époque, à Hong Kong, le ciel était blanc et les paysages constitués de petit carrés colorés. Les gens vous parlaient en mandarin dans l’oreille droite et en cantonais dans la gauche. Il n’y avait qu’un seul directeur de la photo pour toute l’île et il avait été formé sur la première saison du Renard. Certains soutenaient alors que les Chinois de Hong-Kong étaient gris. Quoiqu’il en soit, un nouveau filon avait été découvert et il semblait inépuisable. Certes, les lecteurs de VCD étaient rares, mais on pouvait faire de jolies copies VHS en prenant bien soin de garder le doigt sur le bouton pause de la télécommande afin de ne pas rater le changement de disque.
Au bout de quelques mois, tout le monde s’était habitué à l’accent cantonais et, comme on ne riait plus entre les scènes d’action, on réalisa avec stupeur qu’il y avait un sacré tri à faire dans cette abondante production. Heureusement, le puritanisme anglo-saxon veillait, et l’on pouvait reconnaître les bons films grâce à un petit symbole astucieusement disposé au dos du boîtier. Ce triangle rouge, contenant un "trois" en chiffres romains (ou à la rigueur un "deux" avec un "b"), garantissait normalement un quota de sang ou de sexe, ou - avec un peu de chance - des deux à la fois. Au bout de quelques mois, tout le monde s’était habitué aux viols et aux tortures, et ceux qui ne vomissaient pas entre les scènes d’exposition s’aperçurent, avec un peu moins de stupeur, que tout n’était pas bon dans la Catégorie III.
Pourtant, quelques œuvres majeures restent encore d’authentiques témoins de la compétition et de la surenchère qui eût cours au sein de la catégorie. En effet, trois ans avant le gravissime Ebola Syndrome, Herman Yau tromatisait déjà les esprits avec The Untold Story. Ce garçon, dont on peut raisonnablement douter de la santé mentale, s’inspirait alors d’un fait divers réel pour nous livrer un monument de gore bien crade.
1978. Wong Chi Wan (Anthony Wong), recherché pour meurtre à Hong-Kong, se réfugie à Macao où, prenant l’identité d’un restaurateur, il fend paisiblement des porcs en deux. Sa tranquillité se voit perturbée lorsqu’on retrouve des restes humains sur la plage. L’affaire est transmise aux autorités locales, constituées d’une bande de débiles mentaux chapeautée par l’inspecteur Lee (Danny Lee). Comme ce dernier passe le plus clair de son temps à se faire des putes et qu’il emmène ses neurones avec lui, l’enquête piétine. Je ne m’étendrai pas sur les riches relations qui animent cette attachante équipe, mais sachez toutefois que la majorité des dialogues tourne autour de l’absence de seins d’Emily Kwan, qui cherche à séduire l’élégant Danny (oui, il porte, sous le col de sa chemise, ce petit foulard à pois qui est la marque des vrais gentlemen).
Assez peu inquiété par la police dans la première partie du film, Wong peut laisser libre cours à sa paranoïa et supprime donc méthodiquement les employés de son restaurant à l’aide de techniques originales (éclatage à la louche, insertion de baguettes...). Pour ne pas gâcher, il les transforme ensuite en délicieux petits pains fourrés à la viande, qui font la réputation de son établissement et attirent même les improbables inspecteurs enquêtant sur ces disparitions. Bien sûr, avant de les passer au hachoir, il faut découper les corps et faire bouillir les morceaux pour bien détacher la chair, mais l’avantage avec l’humain, c’est qu’on n’a pas besoin de le farcir, c’est déjà plein. Non détendez-vous, je plaisante, il les éviscère d’abord.
Cependant, l’étau se resserre autour de Wong, qui est finalement rattrapé alors qu’il tente de quitter le pays. Avec son arrestation, le métrage bascule dans le film de prison. Malmené par ses petits camarades, dont le frère du restaurateur assassiné, Wong parvient à se sortir de ce mauvais pas en s’arrachant les veines avec les dents. Hospitalisé, il est interrogé par la police (et par une infirmière vindicative qui lui fait des piqûres à l’eau !), et finit par avouer son dernier crime. Sous forme de flash-back, nous découvrons comment il s’est débarrassé de l’un de ses anciens partenaires de mah-jong. S’en suit une séquence finale apocalyptique de massacre familial au hachoir (le papa, la maman et les cinq enfants ! Non ! Pas le petit frère !), que même Daughter of Darkness ne parviendra pas à égaler. Le tout filmé chaotiquement par un Herman Yau plaçant souvent la caméra là où on ne l’attend pas, et livrant cependant quelques plans mémorables, comme cette vue subjective de sous la table !
Un film a voir absolument donc, pour les amateurs du genre ; pour les autres, une vision s’impose également, ne serait-ce que pour l’impressionnante composition d’Anthony Wong, qui, bien avant de monter des escalators pour Johnnie To, remportait pour ce rôle le prix du meilleur acteur. La photo anthropométrique du générique vaut d’ailleurs à elle seule la filmo d’Anthony Hopkins ! Contrairement à son homonyme Michael, le métissage d’Anthony Wong lui valut de rester longtemps cantonné (on ne se refait pas) dans des rôles de psychopathes. Il réussit cependant à gagner la reconnaissance du milieu grâce à d’hallucinantes interprétations, toujours renouvelées et transformant la moindre de ses apparitions en moments intensément jubilatoires (Heroic Trio, Black Mask...). Dans Untold Story, la brutalité et la froideur de sa performance forcent le respect et seraient, d’après Herman Yau, inspirées d’une photo du vrai Bunman...
Enfin, si la qualité d’un Catégorie III est proportionnelle à la quantité d’urine déversée pendant le film (c’est en tout cas mon point de vue, et il semble que cette théorie pourrait s’appliquer au reste de la production mondiale...), on est en droit de considérer Untold Story comme un pur chef-d’œuvre ! En effet, non content de se laver les mains avec le seul robinet que la nature lui ait donné, Wong va jusqu’à boire la pisse de son co-détenu, pour soulager ses blessures internes ! Dans le même esprit, la flaque qui s’étend sous la dernière petite fille lors de la boucherie finale reste l’une des images les plus perturbantes que j’ai pu voir (avec celle des deux petites filles harnachées par leur père en pony SM dans Shivers ...et quelques autres !). Des images qu’on n’est pas prêt de revoir plus souvent, en ces temps si politiquement corrects. C’est aussi ça la Catégorie III, un peu d’urine dans ce monde de merde.



