The Uprising
Afin de tenter de véritablement apprécier le film de Park Gwang-Su, je pense qu’un petit point historique peut s’avérer fort utile...
Le XIXème siècle marque un tournant capital dans l’histoire de la Corée, avec l’irruption des influences occidentales, et en particulier la progression du catholicisme. Au cours des cinq siècles de la Dynastie Choson, le confucianisme prédomine au Pays du Matin Calme. Le premier jésuite s’introduit clandestinement sur l’archipel en 1785 et, rapidement, le nombre de convertis augmente considérablement, bien que la propagation d’une religion étrangère soit interdite par la loi dans une Corée alors encore très ouvertement xénophobe et indépendantiste. Le prince régent renforce les persécutions en 1863 et les rend systématiques à partir 1866 : jusqu’alors tolérant vis à vis de la présence missionnaire française sur le territoire, un incident le range du côté d’une politique de réclusion, aux côtés des conservateurs qui jugent que les catholiques veulent livrer le pays aux étrangers. Le massacre des missionnaires commence, et plus de 10.000 personnes trouvent la mort en l’espace de quelques mois. En 1866, la France attaque Séoul en signe de protestation pour calmer les ardeurs nationalistes - à la suite de quoi les Français évacuent pour la plupart la péninsule. En 1867, la Corée est redevenue une préoccupation mineure de la politique étrangère française et la xénophobie coréenne s’est encore renforcée. La guerre sino-japonaise sur la possession de la Corée éclate huit ans plus tard, et se termine en avril 1895 avec le traité de Shimonoseki, qui retire à la Chine tout droit de regard sur les affaires coréennes. Durant cette période, la déchirure au sein même du pays ne cesse d’augmenter...
Nous voilà donc en 1901. Afin de pouvoir payer les indemnités de guerre, le gouvernement de Séoul décide d’augmenter les taxes de façon drastique dans tout le pays. Sur l’île de Cheju, au sud de la péninsule, la tension augmente entre les confucéens et les chrétiens qui soutiennent le gouvernement. Le suicide d’un vieux sage en réaction aux railleries d’un groupe de chrétiens constituera l’étincelle nécessaire au début d’un conflit meurtrier : Lee Jae-Soo, ancien messager du gouverneur, prend la tête d’une armée de rebelles pour combattre l’injustice, et rentre en guerre avec les chrétiens. L’affrontement changera le visage de l’île et de ses habitants à jamais...
Les Insurgés constitue vraiment une curiosité cinématographique pour le spectateur occidental. Pour commencer, les incidents relatés dans le film font partie d’une histoire que nous ne connaissons pas - ou alors trop peu. La narration s’affranchit d’une certaine mise en place de la situation sociale, économique et religieuse pour rentrer dans le vif d’un conflit qui, quelque part, se rapproche de la guerre qui divisera la Corée cinquante ans plus tard : déchiré par l’intrusion de pensées extérieures venues fragiliser une indépendance conservatrice, un microcosme coréen vit sa première crise d’identité et entre en guerre contre lui-même. Le personnage de Lee Jae-Soo, avec son changement brutal d’opinion, son amour impossible pour Sook-Hwa (on le comprend : celle-ci est interprétée par la toujours ravissante Shim Eun-Ha), et ses doutes grandissant au cours de l’assaut du château de Cheju, symbolise parfaitement cette dualité destructrice - qui voit un homme en guerre indirecte contre l’étranger et des idéologies extérieures se retourner contre son propre pays sans même s’en rendre compte.
La réalisation de Park Gwang-Su, avec ses nombreux raccourcis stylistiques, renforce parfaitement cette perte de certitudes, tout en accentuant la sempiternelle détermination coréenne à ne pas vouloir changer de position. Mais, plus que tout, ce qui frappe à la vision de Les Insurgés, c’est l’incroyable maîtrise cinématographique du réalisateur au niveau du cadre et des mouvements de caméras. Pour renforcer le manque d’ouverture d’esprit des protagonistes, on a l’impression que le cadre devient le véritable carcan de l’action et que l’histoire ne se prolonge pas dans le hors-champ. Toute tentative de fuite suivant un axe vertical ou horizontal ou une diagonale se retrouve freinée, respectivement, soit par un gibet de potence, un mur ou une falaise, ou l’arme d’un chrétien ou d’un paysan. Le reste du temps, la caméra flotte entre les points de vue subjectifs de façon désorientée, incapable de choisir un camp lorsque la détermination faiblit face à l’incompréhension.
En cela, Les Insurgés, bien que difficile d’accès, constitue un film historique passionnant et magnifique, et mis en scène avec une pertinence rarissime. Quant à l’interprétation de Lee Jeong-Jae, elle est d’autant plus impressionnante qu’elle est à mille lieux de celles qu’il offre dans Interview et Il Mare. Un véritable tour de force, bien loin d’un Braveheart ou d’un Patriot, et beaucoup plus intéressant !
Le film est disponible en DVD chez Spectrum. Le transfert est de bonne qualité et la piste son en 4.0 est tout à fait correcte. Il y a quelques suppléments (making-of, galerie de photos, etc...) mais on regrette le niveau pathétique des sous-titres anglais, qui rendent la compréhension du film encore plus délicate...

