The Wall Man
Kyoko est reporter pour une émission d’informations à sensation, Rumor Report, dans laquelle elle échoue, par exemple, à retrouver la trace d’un supposé crabe poilu doté de ciseaux en guise de pinces... Son petit ami Nishina, photographe au sourire omniprésent, lui parle une nuit de la légende du Kabe-otoko, un homme qui vit dans les murs et nous observe. Le lendemain bizarrement, Kyoko reçoit une carte anonyme l’invitant à se rendre dans un centre commercial à l’abandon, pour en savoir plus sur cet « homme des murs ». Alors que la légende urbaine se retrouve au centre de l’attention médiatique par le biais du Rumor Report, Nishina se prend d’un intérêt quasi-obsessionnel pour cette entité mystérieuse qui évolue dans les murs, qui incarnent pour lui le « medium », cet intermédiaire entre le in et le out, sujets de sa précédente exposition qui s’attardait uniquement sur les visages et les mains de ses sujets...
Il est des films qui affirment leur supériorité cinématographique en l’espace de quelques instants. Un travelling latéral filtré, qui évolue entre plusieurs intimités d’habitants figés devant leurs écrans de télévision emplis de neige ; un enchaînement narratif utilisant la répétition partielle d’images de Rumor Report comme passant entre l’onirisme et une réalité teintée de surnaturel light ; The Wall Man parvient, en une dizaine de minutes, à installer une ambiance incroyable autour de cette crainte impalpable et nouvelle, d’un homme surveillant nos faits et gestes depuis les cloisons qui délimitent notre propre intimité, généralement face à la télévision qu’il affectionne... Le sujet est surréaliste, pourtant la façon qu’a Wataru Hayakawa de l’aborder, au travers de l’objectif obnubilé de Nishina, fascine dés les premiers instants, sans qu’on ose remettre en question sa probabilité.
Film d’horreur qui n’en est pas un, empli d’une rémanence fantastique tellement subtile qu’elle ne parvient, en dépit des affirmations de Nishina, à marquer la pellicule que dans ses derniers instants, The Wall Man se veut une réflexion sur le pouvoir des médias, à faire d’une rumeur une existence. Le médium visé est ici bien entendu la télévision, et l’originalité de cette seconde réalisation de Hayakawa réside dans le lien tissé avec d’autres entre-deux : les murs donc, mais aussi la peau. Cette trinité improbable et pourtant étrangement cohérente, Kyoko l’incarne depuis sa première rencontre avec Nishina. Alors qu’elle était venue l’interviewer au sujet de son exposition « In & Out », l’homme l’avait prise en photo et avait déclaré que dans sa main marquée d’une cicatrice, résidait son véritable visage. La peau, « mur » du corps humain, est un premier médium, entre l’apparence et la personnalité. Le mur à proprement parler, opère cette même division, entre le public et le privé. Dans son activité de journaliste, Kyoko a le pouvoir de lier les gens au-delà de ces séparations, mais surtout de briser la cloison qui se dresse entre la rumeur et la réalité ; une fracture dont la cicatrice sur sa main, susurre la possibilité. Comme le dit un personnage clef du film, l’homme-mur finalement, c’est elle, puisque c’est elle qui le rend réel en le faisant entrer de plain pied dans l’inconscient collectif, autant que dans l’intimité de son couple.
En regardant The Wall Man, et Nishina se perdre dans une réalité fabriquée, insaisissable, j’ai été pris d’une sensation similaire à celle procurée par l’incroyable Tony Takitani de feu Jun Ichikawa. Même économie cinématographique maîtrisée en musique, même impression de justesse, même force argentique... Les deux films dépeignent une aliénation qui, en dépit de leurs évidentes différences, m’a touché au plus profond, avec une intensité similaire. The Wall Man parvient à tisser un lien invisible, d’une finesse émotionnelle rare, entre des gens réunis par les images qu’ils regardent, créées pour modifier la perception de leur quotidien. J’aimerais croire que, dans la vraie vie, ce chef-d’œuvre iconoclaste de Wataru Hayakawa, qui n’a pourtant pas eu les faveurs des critiques, soit capable de faire de même pour ses spectateurs réceptifs.
The Wall Man est disponible en DVD japonais, sous-titré en anglais.

