The Wig
Ring et ses nombreux descendants ont eu pour effet de propager de par le monde, une conception pour le moins pileuse et hirsute de l’horreur. Sadako, en tant que yûrei classique, était un spectre au longs cheveux noirs ; une représentation héritée de la tradition kabuki - les perruques portées par les hommes qui inteprétaient des âmes tourmentées - autant que de la caractéristique des cheveux, de continuer à pousser au delà de la mort. La représentation s’est aujourd’hui transformée en vecteur d’effroi : les cheveux, même dissociés d’une personne, font peur. Ils sont devenus une véritable synecdoque du fantôme dans sa conception japonaise, irradiée à l’ensemble de l’Asie : une partie pour un tout, incarnation de la représentation, que la perruque éponyme du film de Won Shin-yeon symbolise finalement avec justesse et pertinence.
Toujours est-il que prendre le parti de faire d’une perruque une entité maléfique, relève d’une entreprise plus périlleuse encore que restreindre le mal à un liquide tournoyant dans un bocal (Prince of Darkness). Si notre rapport au fantastique n’avait pas, au fil des décennies, tant changé en faveur d’un excès de figuration, l’idée aurait pu être drôle, touchante même, façon Twilight Zone : des meurtres sont commis, un homme relie les victimes, le doute est progressivement jeté sur sa perruque, circonstantiellement présente sur le lieu des crimes, avant d’animer la masse de cheveux, d’en faire une incarnation, improbable et énoncée comme telle par une voix off d’une autre époque, du mal absolu. Mais nous ne sommes plus dans les années 50 et l’imaginaire des spectateurs a désormais besoin d’être guidé, tenu par la main, plombé d’explications plausibles. Du coup, La Perruque - dommage que le distributeur n’ait pas eu le courage de traduire le titre pour la sortie DVD française - fait peur d’avance, mais pas forcément de la façon souhaitée.
Pourtant lorsque The Wig s’ouvre sur sa sombre histoire terminale, on devine que la séance sera loin d’être si simple à cataloguer. Ji-Hyun et Soo-Hyun sont deux sœurs que l’on peut qualifier de mourantes : la première en tant qu’être humain, à laquelle l’amour échappe et dont le caractère muet empêche l’existence par la communication ; la seconde en tant qu’être vivant, térassée par une leucémie que son corps est incapable de vaincre. Diminuée, Soo-Hyun est rendue à la garde de sa sœur pour ses derniers jours, sa condamnation tue aussi bien par les médecins que par Ji-Hyun, qui lui laissent entrevoir une guérison. Pour fêter sa sortie, Ji-Hyun offre à Soo-Hyun une perruque, à même de dissimuler sa maladie. Mais sitôt la jeune femme affublée des cheveux empruntés, elle se met à changer, de comportement mais aussi, semblerait-il, physiquement...
The Wig démarre un peu comme l’épisode de Twilight Zone imaginé, avec sa perruque animée, ses mises en scène circonstancielles, une approche fantastique second degré qui détonne avec le ton très sérieux du métrage, maladie mortelle oblige... mais rapidement, le film de Won Shin-yeon se démarque de cette approche, délaisse le fantastique explicite pour une contamination psychologique de Soo-Hyun par les souvenirs véhiculées par sa perruque, qui exerce sur elle une force rédemptrice autant que destructrice. Film avant tout psychologique, The Wig se maquille en film fantastique de bas étage pour mieux véhiculer son histoire de vengeance amoureuse, au cœur de l’état non seulement de Soo-Hyun mais aussi de Ji-Hyun. Celle-ci se dévoile au travers de flash-backs, le principal étant tardif, qui ne construisent pas un twist pour une fois, mais bien une histoire, cohérente, riche, sordide. Les coréens ne maîtrisant l’horreur que par le biais de la méchanceté, The Wig est un film dur, et ce n’est que dans ses visions cauchemardesque - la séquence à l’hôpital, où les pilules de Soo-Hyun ressortent de son crâne, par exemple - qu’il excelle véritablement. Bâtard, il l’est assurément, mais ce sont tout de même à terme, ses qualités qui l’emportent sur ses défauts, un peu à la manière de The Red Shoes, autres film à l’antagonisme apparat. Certaines images sont fascinantes - comme l’usine de perruques - et Won Shin-yeon a le courage de traiter son histoire jusqu’au bout, sans concession, confirmant notre première impression quand à l’état transitoire de ses deux héroïnes. Si le titre apparaissait donc à premier abord comme trop explicite, The Wig s’affirme finalement comme courageux, ne donnant qu’un aperçu de ses nobles et pessimistes ambitions : le réalisateur se joue ainsi de nos attentes avec un certain brio, nous plongeant d’abord dans le navet redouté pour mieux s’en extraire, et donner corps à une horreur tangible, concrète, émotionnelle.
The Wig est disponible en DVD coréen, mais aussi chez nous grâce à Opening.



