This Charming Girl
En marge des productions attendues de cette 7ème édition du Festival du film asiatique de Deauville, se cachent parfois des oeuvres anodines dont le titre paraît évoquer une bleuette insignifiante, alors que la lecture du scénario prédit déjà les défauts récurrents d’une tentative auteuriste. Mais lorsque la simplicité et l’absence de prétention se conjuguent au minimalisme et à l’émotion contenue, l’attente est souvent récompensée par un singulier moment de cinéma, expérience rare et éphémère qui, bien qu’imparfaite n’attend qu’à être cueillie comme un fruit printanier au goût aigre-doux.
Il est souvent vain de chercher à tout expliquer. Nos sensations et perceptions passées par le prisme de notre logique ne se prêtent guerre au cinéma de Lee Yoon-ki. En adaptant Yeoja, Jeong-hae, une nouvelle de Wu Ae-ryung décrivant la vie d’une fille d’apparence ordinaire mais à la personnalité unique, le cinéaste qui signe un début prometteur, s’investit dans une relation passionnelle et empathique avec son personnage, dont il tente de radiographier l’âme et les souvenirs.
Jeong-hae est une fille simple, douce et réservée, dont la vie flotte entre solitude dans son petit meublé, et travail routinier dans un bureau de poste. Ce n’est qu’à la faveur de brefs flash-back et rencontres fortuites qu’on nous laisse entrapercevoir des bribes de sa personnalité singulière ainsi que quelques clés ouvrant une porte sur un troublant passé. Entre dévotion et affection envers sa mère décédée, Jeong-hae se console au contact d’un chaton recueilli dans un parc. Les souvenirs reviennent avec plus d’insistance lorsqu’elle revoit un homme qui lui annonce son mariage lors d’un repas tendu. Un jour elle se risque à inviter un apprenti écrivain, qui passe régulièrement au bureau de poste où elle travaille, pour envoyer ses manuscrits. Mais un espoir déçu l’entraîne un peu plus dans la douleur d’indicibles souvenirs qui la hantent...
Comme dans l’oeuvre d’Alain Resnais qu’il cite discrètement au cours d’une séquence, le souvenir est au coeur de This Charming Girl. Moteur tout en étant obstacle aux sentiments, il est aussi clé narrative. Le souvenir se fait tout d’abord léger, puis, de plus en plus pesant au fil du temps et des rencontres. Utilisant habilement les flash-back qu’il distille sur fond de séquences surexposées, le cinéaste travaille en nuances. Minimaliste tout en étant léger et fluide, il tente de percer à nu, avec pudeur mêlée de compassion protectrice, le caractère singulier du personnage de Jeong-Hae.
Ce caractère singulier n’apparaît pas de prime abord mais se révèle dans les détails de sa vie filmée au plus près, qui s’exprime par l’intelligence d’un réel travail d’écriture avec la caméra. De la façon dont elle dort allongée négligemment sur son canapé, jusqu’aux bouffées de fumées de cigarettes de ses amies, dont elle aime respirer le goût, ces singularités renforcent sa différence et son anomalie au sein d’une société d’un inquiétant conformisme, souligné par le travail monotone au bureau de poste. De même, la naissance du sentiment amoureux est filmée avec une rare délicatesse lorsqu’un cil égaré sur une joue évoque les émois sentimentaux de notre héroïne.
Comblant avec bonheur l’absence de personnages féminins riches et complexes, dans un cinéma coréen contemporain qui exploite plus volontiers le romantisme larmoyant ou la mièvrerie, Jeong-hae fait un peu figure d’exception dans la représentation de la figure féminine. Elle est l’amie qui souffre en silence, celle dont les blessures ne peuvent se cicatriser, refuseant de les étaler à la vue de tous comme tant d’autres, exploitant la sensibilité du spectateur. Ce caractère atypique et en même temps attachant, dont une scène troublante chez un vendeur de chaussure amplifie le côté insolite, fait de Jeong-hae une marginale, aliénée au monde qui l’entoure. Cette marginalité, habituellement issue du contexte social dans le cinéma coréen, est ici dictée par le poids d’un douloureux passé qu’elle s’efforce de surmonter. Lee Yoon-ki s’attache tout d’abord à préserver la fragilité de son personnage, collant au plus près sa caméra, comme pour la protéger. Mais lorsque la souffrance devient trop pesante, il s’en éloigne discrètement, incapable de la consoler.
Cette proximité retenue, idéalement servie par un travail en caméra portée, doit bien entendu beaucoup à la nouvelle vague française alors que parfois plane l’ombre d’un Krzysztof Kieslowski. Entre objectivité documentaire dans sa description du quotidien et subjectivité trahissant son attachement viscéral au personnage, subtilement interprété par Kim Ji-soo, le cinéaste brille par la simplicité et le naturel qui font souvent défaut aux auteurs cherchant à tout prix l’originalité.
Si la révélation de la cause des blocages émotionnels de Jeong-hae tient du poncif, This Charming Girl n’en reste pas moins d’une touchante sensibilité, tant dans l’hésitation permanente de son héroïne, que dans l’hypnotique regard vague et la beauté candide de son actrice, traduisant à merveille la nudité essentielle du sentiment.
Lire aussi l’interview du réalisateur, Lee Yoon-ki.
Diffusé au cours du 7ème Festival du film asiatique de Deauville, le film a remporté le prix Lotus du jury.



