Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Hong Kong

Time and Tide

Hong Kong | 2000 | Un film de Tsui Hark | Avec Nicholas Tse, Wu Bai, Candy Lo, Cathy Tsui, Anthony Wong

Les films d’action ont toujours été considérés avec un certain dédain par les critiques de cinéma. Pourtant, sans même lorgner du côté de nos confrères asiatiques, chez lesquels le débat prend, depuis un certain nombre d’années déjà, une ampleur toute différente, il suffit d’analyser attentivement n’importe quel MacTiernan ou Cameron pour constater qu’il existe aussi, dans le domaine de la pétarade à tout bout de champs, de véritables objets cinématographiques - en ce sens où interviennent, aussi bien dans Die Hard et The Thirteenth Warrior que dans True Lies, d’authentiques expérimentations, aussi bien narratives que visuelles, voire souvent à l’intersection des deux.

En Asie, le trait est (a toujours été d’ailleurs, de par leur culture du mouvement) encore plus poussé, et certains réalisateurs ont consacré la majorité de leur carrière à de telles expérimentations. Nous pourrions bien sûr encore vous en rajouter une couche sur l’increvable Takashi Miike, mais est-ce vraiment nécessaire ? Non, aujourd’hui, c’est à un trublion en liberté depuis bien plus longtemps que nous nous intéressons, à savoir Tsui Hark.

Depuis The Butterfly Murders en 1979, Tsui Hark a toujours été, à quelques exceptions près, un inventeur de forme(s) plus qu’un véritable auteur. Acclamé rétroactivement par la critique internationale pour ses œuvres majeures (The Lovers, The Blade, Once Upon a Time in China, Peking Opera Blues...), Tsui Hark demeure néanmoins, d’une certaine façon, marginalisé/incompris en tant que véritable réalisateur.
La plupart des films de Tsui Hark sont des adaptations de légendes/histoires traditionnelles, appartenant généralement au panthéon de la mythologie chinoise. Ce qui distingue néanmoins les trois premiers épisodes de la série des Once Upon a Time in China des autres variantes cinématographiques de Wong Fei-Hung (pour prendre un exemple), c’est le traitement infligé, aussi bien au niveau du point de vue que de la réalisation. Jouant avec les codes du cinéma de genre, Tsui passe son temps à défaire les règles qui le régisse pour recréer, au fil des bobines qui composent ses longs-métrages, un nouvel ensemble logique qui lui est propre. Pour les fans de cinéma asiatique, l’aboutissement de cette implosion/reconstruction se situe bien sûr au niveau de The Blade, l’un des plus grands échecs commerciaux du réalisateur. Mais, aujourd’hui, il y a Time and Tide. Et, pour ceux qui ont su être à la fois tolérants et attentifs, l’arrivée de cet ovni filmique était annoncée depuis quelque temps déjà non seulement dans les combats de The Blade, mais aussi - en bribes, certes - au sein de ces deux curiosités que sont Double Team et surtout Knock Off.

En effet, au beau milieu de ces deux van-dammeries sous-estimées (surtout pour Knock Off, monument d’action sous acide), on trouve les traces d’une tentative stylistique avortée, sans doute par incompréhension (pour le coup presque compréhensible) de la part des executives américains.
Dans Double Team, la scène la plus intéressante se situe au début du film, lorsque Van Damme tente d’arrêter Stavros (Mickey Rourke), au milieu d’un parc d’attractions. Au beau milieu d’une séquence plutôt traditionnelle, voire même banale, intervient une perte de repères spatio-temporels trop courte pour marquer le spectateur, mais en même temps suffisamment longue pour imprimer une perturbation. La même chose intervient de façon beaucoup plus grandiloquente dans Knock Off, au cours de la séquence du parking sous-terrain : dans les deux scènes, pendant quelques secondes, Van Damme semble être parfaitement affranchi de toutes les lois physiques élémentaires de déplacement. Fascinantes, ces deux séquences, parfaitement incongrues dans leur contexte, prennent tout leur sens à la vision de Time and Tide, qui prône cet affranchissement perturbateur comme postulat de base de la réalisation.

Au niveau de l’histoire, la simplicité du scénario ne l’empêche pas d’être intéressant et bien ficelé...
Tyler (Nicholas Tse, impeccable loser), barman de son état, fait un soir la connaissance d’une femme avec laquelle il finit par coucher (du moins, c’est ce qu’il semble, car la gueule de bois est telle qu’aucun des deux intéressés n’en est certain). Celle-ci, lesbienne et flic, tombe enceinte. Neuf mois plus tard. Tyler s’est mis en tête d’amasser le plus d’argent possible le plus vite possible, afin de quitter le pays pour une destination paradisiaque en Amérique du Sud. Pour ce faire, il rejoint la société illégale de protection rapprochée fondée par "Uncle Ji" (applaudissements pour Anthony Wong, s’il vous plaît). Tyler essaye de donner de l’argent à la mère de son futur enfant, mais celle-ci ne veut rien savoir. En parallèle, il fait la rencontre de Jack (l’étrangement charismatique Wu Bai), qui va devenir son ami. Mais par le biais d’un groupe de mercenaires ultimes, les deux hommes vont se retrouver dans les camps opposés d’un affrontement meurtrier...

Bien que l’enchaînement des évènements puisse sembler confus, le film parvient à garder une cohérence surprenante, et ce grâce à une simplicité qui rime, ici, avec virtuosité.

Comme c’est un peu le cas en musique, il faut généralement être capable des choses les plus complexes pour se permettre de mettre les choses à nu et extraire ce qui en assure le véritable fonctionnement. Ainsi seul Tsui Hark, capable du combat final de The Blade ou de n’importe quelle apothéose des Once Upon a Time in China pouvait-il réussir le tour de force Time and Tide. Quelque part, il se peut aussi que toute personne ne vivant pas constamment sous acide ne penserait jamais à aborder la réalisation d’un film d’action avec une aussi grande abstraction.

Toutes les séquences d’action de Time and Tide sont des morceaux d’anthologie. Mais ici, ils ne s’agit pas d’une surenchère de prouesses pyrotechniques ou de cadavres criblés de balles, mais plutôt, au contraire, d’un dénuement d’apparats physiques (point d’artiste martial exceptionnel ici) au profit d’un langage uniquement cinématographique. Par le biais d’un montage serré et d’une caméra en mouvement incessant, Tsui Hark parvient à rendre ses protagonistes plus qu’humains sans jamais montrer d’exploits proprement improbables. Le plus gros de la réalisation consiste en un jeu d’accélération, non pas de l’action à proprement parler, mais de la ligne de temps du déroulement des différents mouvements et déplacements. Joint à l’affranchissement de la notion de cadre tel qu’on la connaissait jusqu’ici, cet artifice autant narratif (pour son apport indispensable à la réalité des personnages) que visuel permet à Tsui Hark de devenir Dieu de son propre univers, et d’en redéfinir les possibilités. En cela, le plus gros morceau du film (à savoir la bataille dans le pseudo-HLM où vivent Jack et sa femme) est une véritable innovation au sein, non seulement du cinéma de genre, mais du cinéma tout court. Et le plus étonnant, c’est que l’approche fonctionne ! En dépit d’une visualisation extrêmement fragmentée et déroutante, la lisibilité demeure absolument parfaite.
Bref, après la frustration JCVD, Tsui s’en est retourné à Hong Kong pour laisser librement exploser sa rage et sa folie, et c’est le bonheur le plus total !

Rajoutez à tout cela un côté humain très intéressant, un final plutôt osé (qui nous rappelle que nous sommes bien face à un film HK), et un message transmis de façon pour le moins originale, et vous obtenez l’un des films d’actions les plus importants de notre époque, un chef-d’oeuvre qui fait mouche à chaque nouvelle vision. Si Zu 2 est aussi bien réalisé, attendez-vous à la claque du siècle !

Time and Tide est disponible à Hong Kong dans une version propre 4:3 qui n’est pas recadrée mais démattée, et en zone 1 chez Columbia dans une bien belle copie anamorphique au format, avec un 5.1 redoutable sous-titré français ou anglais au choix, et même un commentaire audio de Tsui Hark !

- Article paru le jeudi 23 août 2001

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