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Hong Kong

Time and Tide

Hong Kong | 2000 | Un film de Tsui Hark | Avec Nicholas Tse, Wu Bai, Candy Lo, Cathy Tsui, Anthony Wong

« C’était super, même s’il n’y avait pas d’histoire ! »

Grâce au merveilleux travail de restauration effectué par Carlotta (d’autant plus appréciable que l’on connaît la problématique de la préservation du patrimoine cinématographique hongkongais), j’ai pu revoir Time and Tide ce week-end, accompagné notamment du cadet de mes enfants pour qui il s’agissait d’une découverte. Et sa déclaration à l’issue de la projection, même si elle est partiellement fausse, résume bien la singularité de l’œuvre de Tsui Hark, qui, en tant que telle, demeure unique, près de vingt ans encore après sa sortie.

Si mon fils a eu cette impression d’absence narrative, c’est parce que Time and Tide, film impossible à « pitcher » par excellence, demeure, une majorité après le premier article que je lui ai consacré dans ces pages, une fascinante incarnation cinématographique du chaos. Point de finalité narrative perceptible ici, ou d’enjeu explicité, et donc aucune appréhension possible des moyens mis en œuvre pour les atteindre : équivalent pelloche d’une balle super rebondissante lancée au milieu d’éléments narratifs originellement disjoints, dont la trajectoire dessinerait l’écriture, Time and Tide échappe à toute téléologie classique.

Dépourvu de finalité, le récit de Time and Tide ne possède pas plus de début ou de fin, à l’image du cycle éternellement répété de la création qui sert à la fois de prétexte métaphysique à sa mise en œuvre, et de motif décliné dans l’omniprésence de la naissance dans le film. L’aventure de Tyler (Nicholas Tse), qui met enceinte une femme flic bien malgré elle – cette dernière a une préférence pour les femmes – dans un moment d’ébriété partagé, se poursuivra en effet avec la protection de la femme enceinte de son allié de fortune, le mercenaire Jack (Wu Bai). Entre les protagonistes, tout n’est qu’affaire d’action/réaction : la grossesses inopinée entraîne une prise de responsabilités, qui entraîne un boulot pour pourvoir aux besoins d’un futur enfant (bien que la paternité en soit refusée à Tyler), qui entraîne la rencontre de Jack, qui entraîne des coïncidences qui de fait, n’en sont plus, puisque ce sont elles qui construisent la narration, plutôt que d’en être un effet secondaire.

Cette force motrice bien particulière, Tsui Hark en fait non seulement sa force narrative, mais aussi sa force visuelle. Habitué, tout au long de son incroyable carrière, d’un certain chaos visuel et des focalisations atypiques, il fait épouser à sa caméra les rebonds de la balle qu’il a jetée au milieu de ses protagonistes. L’inventivité visuelle de Time and Tide reste certainement, avec la vétusté de ses explosions numériques, sa caractéristique la plus marquante : alors que, à l’époque comme aujourd’hui, les mauvais élèves multiplient les mouvements de caméra pour donner de l’inertie au statique, tout comme ils multiplient les points de vue pour singer le dynamisme, Tsui Hark s’applique simplement à échouer à suivre ses personnages dans leurs déplacements. Ainsi, ce n’est pas eux qu’il filme, mais bien l’action elle-même, induisant une lisibilité du mouvement et non de l’image, que peu de réalisateurs arrivent à créer réellement.

Time and Tide restera certainement toujours en ce sens un film unique, car tenter de le copier nécessiterait de mettre de l’ordre dans son chaos, de faire de son paradoxe permanent (donner l’illusion de l’improvisation par le biais d’une virtuosité technique parfaitement structurée) un manifeste. Fort de ses rebonds libres, nourri par une imagerie populaire qui ne s’embarrasse jamais de justification, il constitue la somme la plus évidente des différents cinémas de son réalisateur polymorphe, et, par extension, de toute une époque du cinéma HK. Une merveille, pour toujours !

Time and Tide est disponible pour la première fois en Blu-ray chez Carlotta, depuis le 6 mars, dans une édition prestige limitée. La très belle copie du film est accompagnée d’un commentaire audio du cinéaste hongkongais et de plusieurs autres suppléments, dont les interview de Charles Tesson, grand connaisseur du cinéma asiatique, et des réalisateurs et scénaristes français longtemps basé à Hong Kong, Laurent Courtiaud et Julien Carbon. Une édition DVD simple est aussi disponible.

- Article paru le lundi 11 mars 2019

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