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Japon | Nippon Connection 2010 | Rencontres

Tomorowo Taguchi : acteur

"J’ai dormi trois jours entiers après le tournage de Prisoner/Terorisuto (2007) de Masao Adachi."

Quel est le point commun entre des cinéastes aussi différents que Takashi Miike, Shinya Tsukamoto, Nagisa Oshima, Riyuchi Hiroki, Masashi Yamamoto, Masao Adachi et Shōhei Imamura ? Une seule réponse : Tomorowo Taguchi. Présent lors du Festival Nippon Connection de Francfort pour présenter son dernier film en tant que réalisateur Oh, My Buddha ! (2009), il nous semblait indispensable de le questionner sur les deux versants de son travail, à la fois comme cinéaste et comme acteur. Pour éviter l’attaque de panique, à l’idée d’évoquer plus de 140 films durant les 30 minutes imparties, nous nous sommes donc restreints et concentrés sur Prisoner/Terorisuto (2007) de Masao Adachi, sans doute son rôle le plus dur, interprétant Kozo Okamoto, membre de l’armée rouge japonaise et l’un des responsables de l’attentat de l’aéroport de Lod en Israël, en 1972. Prisoner/Terorisuto, que l’on aura peut-être l’occasion de revoir lors de la rétrospective prévue en fin d’année 2010 à la Cinémathèque Française consacrée à Masao Adachi, en parallèle de celle de Kôji Wakamatsu.

Sancho : Vous êtes connu au cinéma en dehors du Japon surtout pour Tetsuo (1989) de Shinya Tsukamoto, mais le film où j’ai préféré vous voir est l’excellent Prisoner/Terorisuto (2007) de Masao Adachi.

Tomorowo Taguchi : Thank you very much !

Quelle a été votre première réaction en lisant le scénario ?

Very shocking. Very difficult, very, very difficult. Le scénario était plus long que le film au final, il faisait le double en longueur. C’était encore plus provocant, encore plus corrosif. Je n’avais aucune idée de la façon dont cela pourrait se transformer en un long métrage.

Connaissiez-vous Masao Adachi avant Terorisuto ?

Je savais que c’était un réalisateur légendaire. J’ai vu les films pink qu’il a réalisés dans les années 60 et j’avais aussi entendu parler de ses activités politiques à l’extrême gauche aux côtés de l’Armée Rouge Japonaise. Il a été rapatrié au Japon après avoir été arrêté au Liban où il résidait depuis presque 30 ans. Ce qui m’a le plus frappé, c’est qu’il a recommencé à faire des films en revenant au Japon. Et je trouvais incroyable non seulement qu’il me demande de participer à son prochain film mais qu’en plus mon rôle serait celui de Kozo Okamoto.

Vous êtes-vous préparé physiquement et moralement pour ce rôle si difficile ?

Masao Adachi m’a dit au contraire de ne surtout pas me préparer pour le rôle, en aucune façon. Mais j’ai quand même effectué discrètement quelques recherches de mon côté. Mais il ne faut pas lui dire... chut ! (rires) Je ne lui ai rien dit !

Comment se comportait-il durant le tournage ?

J’ai vraiment été très surpris qu’il soit aussi gentil et aussi "démocratique". En général, c’est plus hiérarchisé dans l’industrie du cinéma japonais, même lorsque c’est un film à petit budget, comme c’était le cas pour nous avec Terorisuto. Bon, il ne fallait pas non plus trop l’énerver car lorsqu’un membre de l’équipe faisait une erreur, il lui arrivait de piquer une grosse colère, et dans ces moments-là, il pouvait se montrer sous un autre jour : vraiment effrayant !

Est-ce que certaines scènes ont été particulièrement difficiles à tourner ?

Des scènes difficiles, pas tellement. Ce qui était compliqué, c’était plutôt le scénario qui était très abstrait, et la difficulté était de savoir comment transformer cette abstraction dans les différentes séquences.

Vous est-il arrivé d’improviser, d’inventer vous-même certains passages ?

Pas du tout. Tout était écrit de façon très précise. Il n’y avait pas cette possibilité là.

Ensuite, cela n’a pas du être aisé de tourner la page ?

En fait, j’ai dormi trois jours entiers après le tournage. Durant le tournage, nous étions dans un monde très confiné et il a été difficile d’en sortir et de se détacher de toutes les émotions que l’on a éprouvées.

Qu’avez-vous appris en tant qu’acteur et en tant que réalisateur ?

Plutôt que le sentiment d’avoir appris quelque chose, j’ai eu beaucoup de plaisir à participer à un film si subversif et si avant-gardiste, et dont le sujet traite du terrorisme et des terroristes, ce qui est rarement évoqué au Japon en ce moment. Je souhaite que d’autres films comme celui-ci soient plus souvent réalisés au Japon, même s’il est difficile de trouver un budget pour des sujets aussi délicats.

Vous avez donc eu accès à des "fonds spéciaux" ?

Non pas vraiment... (rires)

Vous n’avez pas été placé sur liste noire par l’industrie du cinéma japonais ? Cela doit être difficile pour un acteur de passer d’un rôle politique dérangeant comme celui-là à des rôles plus consensuels, notamment à la télévision ?

Nous n’avons pas eu tellement de spectateurs... Il y a juste une petite partie de la jeune génération qui a été intéressée et qui a vu le film. C’est triste à dire mais il n’y a presque pas eu de réaction. A mon avis, c’est parce que le film a un côté dangereux, risqué que les gens ont décidé de l’ignorer.

Vous n’avez pas eu envie après le film de rejoindre quelques mouvements de luttes politiques ?

(Rires) J’avais demandé à Masao Adachi de me parler de ces mouvements mais il a refusé de le faire. Encore aujourd’hui, c’est délicat. Je pense qu’il a voulu me protéger en étant le plus discret possible.

En France, les acteurs de cinéma évitent en général de jouer dans les séries télévisées, considérant que cela est moins noble. Alors qu’au Japon cela semble ne pas poser pas de problème aux acteurs. Vous qui jouez à la fois au cinéma et à la télévision, que pensez-vous de cette différence de niveau ?

Au Japon, les rôles télévisés sont même majoritaires dans la carrière d’un acteur, la télé c’est son gagne-pain. Il doit aussi passer par la télévision pour se faire connaître. Lorsqu’on est un acteur professionnel, on est amené à jouer pour des publicités, donc accepter un rôle difficile comme ça peut comporter le risque d’être ignoré ensuite. Et c’est une chose que je n’apprécie pas du tout au Japon, parce que c’est comme si l’argent passait avant l’art. Je n’aime pas qu’on empêche un acteur de jouer dans certains films, car on sait d’avance qu’ils ne seront pas des succès.

Vous choisissez les dramas dans lesquels vous jouer ?

Je choisis les dramas dans lesquels je joue mais pour tout dire, comme je fais surtout des films de cinéma, je suis plutôt pauvre. J’attache beaucoup d’importance à lire les scénarios avant de choisir un film.

Vous semblez avoir eu une relation privilégiée avec l’un des grands maître du cinéma : Shohei Imamura ?

Je l’ai rencontré lors du casting pour le film Unagi (1997). Je le considérais à l’époque comme un très grand cinéaste. Et visiblement quelque chose en moi lui a beaucoup plu. C’est certainement pour cette raison que depuis il a fait souvent appel à moi, même s’il avait un esprit très indépendant et n’utilisait presque pas de célébrités dans ses films.

On doit souvent vous parler des très nombreux réalisateurs avec qui vous avez tournés, comme Takashi Miike, Shinya Tsukamoto, Nagisa Oshima, Riyuchi Hiroki... J’aimerais que vous nous parliez pour terminer d’un autre plus fantasque mais très intéressant, inconnu en France, à qui l’on doit quelques perles : Masashi Yamamoto, avec qui vous avez joué dans Robinson no niwa (1987). Ses films sont ahurissants et lui a l’air très bizarre !

Dingue, il est dingue crazy fucking man, he’s crazy ! (rires). J’ai juste un petit rôle dans ce film. C’est l’un de mes amis mais, comment dire, j’essaie de ne pas participer à ses films. Cela pourrait être dangereux pour moi... He’s a movie yakuza yeah !

Propos recueillis par Sébastien Bondetti et Nathalie Benady le dimanche 18 avril 2010 à Francfort.
Remerciements à Maria Roemer pour sa traduction.
Photos de Tomorowo Taguchi © Sébastien Bondetti.

- Article paru le lundi 30 août 2010

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